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le tribunat, par exemple, a été institué avec le concours du fécial, comme on eût fait pour toute convention, pour tout traité entre deux peuples indépendans l’un de l’autre. Mais les progrès de la conquête, en faisant créer de nouvelles tribus rustiques, rendent la plèbe de la campagne toujours plus nombreuse et plus forte. A peine un petit peuple, aux environs de Rome, a-t-il été soumis, les familles dont il se compose sont annexées ou transportées ; ses chefs, quelquefois des descendans de races royales ou même divines, aspirent à entrer dans l’aristocratie romaine ; ses citoyens veulent participer à la cité et à ses droits. On comprend que, de la sorte, le progrès de la plèbe ait été incessant, et incessante la pression exercée sur l’aristocratie urbaine. A chaque adjonction a correspondu non pas seulement l’inscription d’un plus grand nombre de citoyens par les censeurs, mais encore un progrès politique et civil.

La théorie de Niebuhr, développée par Emile Belot, est acceptée dans son ensemble par de bons esprits, par le savant M. Willems, par exemple. Certains traits n’en sont-ils pas cependant excessifs ? Belot se représente la Rome primitive sous l’aspect d’une ville italienne du moyen âge, ville fermée, aux palais fortifiés et munis de tours. N’y avait-il pas plus de rapports familiers ou intimes entre le patriciat urbain et les propriétaires de la campagne, entre la clientèle de la ville et la plèbe rustique ? Quant aux tribuns du peuple, comment auraient-ils été des défenseurs si puissans de toute la population de la campagne, quand leur autorité ne s’étendait pas au-delà d’un rayon de mille pas autour de la ville ?

On n’en voit pas moins, il est vrai, en beaucoup de cas, par exemple dans le procès de Coriolan, comme deux peuples en présence, et cette dualité prend fin précisément à la suite d’une grande réforme qui, vers le milieu du IIIe siècle, modifie en un sens favorable aux tribus rustiques la constitution des comices centuriates[1]. La création des deux dernières tribus de la campagne, en 240, en fut le signal en faisant éclater les vieux cadres. Selon l’ancienne constitution, la première classe disposait à elle seule, lors du vote dans les comices pour les lois ou pour les élections, d’un nombre de voix qui représentait la majorité, pour peu que cette classe fût unanime. La seconde classe, composée des citoyens ayant une fortune entre 100,000 et 75,000 as, était rarement appelée au vote, qui s’interrompait une fois la majorité atteinte ; les troisième et quatrième classes, de cens encore inférieur, n’étaient jamais consultées.

  1. La réforme des comices centuriates au IIIe siècle avant Jésus-Christ est un très difficile problème, que MM. Paul Guiraud et G. Bloch ont étudié à nouveau depuis 1881 dans la Revue historique. Leurs conclusions ne sont pas les mêmes.