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population, et rien de leur activité physique ou intellectuelle. Leurs soldats étaient toujours les meilleurs soldats du monde, car la légion romaine n’avait pas fait ses preuves, ni la phalange macédonienne. Leurs savans, leurs artistes étaient nombreux. Pour l’art, pour la philosophie, pour l’éloquence, ce qu’on a appelé le siècle de Périclès continuait.

Phidias, Polyclète, Zeuxis, Parrhasios, étaient morts, et, entre les mains de leurs successeurs, l’art se transforme et fléchit. Déjà dans la frise du temple d’Apollon Epikourios, près de Phigalie, Iktinos avait donné à ses figures plus d’expression et de vivacité que n’en ont les groupes du Parthénon. Une génération s’écoule, et voici que la passion anime le marbre, comme elle avait agité déjà les tragédies d’Euripide. Dionysos ressent l’ivresse qu’il inspire, Aphrodite la volupté qu’elle promet ; le style, moins sévère, est plus humain, et le mouvement de la vie remplace la calme sérénité des dieux de Phidias.

La sculpture est sur la route qui conduira les artistes à composer des statues iconiques et à subordonner trop souvent l’art à la vérité vulgaire. Par la recherche du détail, l’excès du fini et une exactitude trop servile, on perdra le sentiment de la beauté idéale. Lucien exprime cette tendance en disant d’un artiste de ce temps, Démétrios, qu’il n’était plus un faiseur de dieux, mais un faiseur d’hommes, où οὐ θεοποίος τις, ἀλλ’ἀνθρωποπίος ὤν. Ou bien l’on tendra au tragique, au gigantesque, et l’on construira des colosses de bronze qui seront des prodiges d’industrie. Charès de Lindos édifiera, vers 280, le colosse de Rhodes ; Lysippe, un Jupiter haut de 40 coudées (18m,15). Dans quelques années, Démocrates offrira à Alexandre de tailler l’Athos en statue, une des mains portant une ville, l’autre laissant échapper un torrent qui retomberait en puissantes cascades. Le héros eut plus de goût que l’artiste, il refusa. A chacun son œuvre ; que l’homme laisse à Dieu ses montagnes.

Mais avant que les artistes se préoccupassent de faire tragique, ce qui n’est pas le propre de la statuaire, il y eut pour l’art grec une période charmante, celle que remplit l’école de la grâce, qui se plut à donner aux dieux la jeunesse efféminée au lieu de la majesté olympique. Deux Athéniens, Scopas et Praxitèle, qui en furent les chefs, créèrent le type des Vénus pudiques et craintives, représentation de la femme bien plus que de la déesse. Les grands artistes du ve siècle ne montraient jamais la nudité féminine. Des critiques peut-être trop ingénieux ont même cru que, si Praxitèle, lorsqu’il sculpta son Aphrodite de Cnide, « au regard humide, » τὸ ὑγρόν, lui ôta tout voile, il avait du moins placé près d’elle un vase qui, rappelant le bain symbolique, éloignait l’idée profane par un souvenir