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avant l’empire leur importance politique et civile. Peut-être l’accroissement de la richesse a fait arriver, même dans les classes inférieures, des citoyens capables d’un rôle plus actif et plus en vue qu’il ne pouvait l’être autrefois. Un autre témoignage de ce progrès serait l’intervention des affranchis, qu’on voit partout comptés aux derniers temps de la république, et investis de commandemens dans l’armée ou dans la flotte. Si les. anciennes charges républicaines leur sont interdites, ils ont accès à une foule de fonctions administratives. Ils pratiquent l’agriculture, ils exercent le commerce et l’industrie, ils savent emprunter et prêter, et faire la banque. Ils ont mérité comme les autres citoyens leur part dans la richesse commune, et ils en ont le profit social et politique. Les catégories du recensement continuent à s’imposer à cette société, et le principe en est toujours un certain degré de fortune. Sénèque ne fera que résumer par quelques mots caractéristiques les conditions déjà anciennes lorsqu’il dira : « Le cens élève un citoyen à la dignité de sénateur. Le cens distingue le chevalier romain de la plèbe. Le cens règle dans le camp les promotions. » Mais la vie a pénétré plus avant qu’autrefois, elle anime des cadres jadis inertes. Un plus grand nombre de citoyens participent aux droits politiques et civils en même temps qu’à la fortune.

En résumé, la richesse est pour tout grand peuple l’instrument et le prix à la fois de la civilisation, puisqu’elle ne saurait être acquise ni conservée sans une activité permanente et réglée. Elle a fait son œuvre entre les mains avides, mais énergiques, de la société romaine. Ses meilleurs résultats ont été, à la suite d’un puissant essor du commerce, les mille relations entre les peuples, les immenses travaux publics, le bien-être répandu, le progrès permis dans toutes les voies ouvertes à l’intelligence des hommes, toute une grande partie de ce qu’on appelle du beau nom de paix romaine. Pourtant les classes supérieures qui ont détenu et administré cette richesse en ont fait en partie mauvais usage. L’histoire de la propriété foncière romaine trahit d’énormes fautes, accomplies par l’effet d’un amour malentendu et inintelligent du gain. C’est presque dès les premiers temps de la république que les lois agraires dénoncent l’abandon de cette petite ou moyenne culture, qui avait assuré la prospérité primitive de l’Italie. La grande culture, partout instituée au temps de la conquête comme offrant un meilleur placement d’argent aux propriétaires, ruine les grands drainages antiques que Rome avait trouvés établis autour d’elle. Les hommes libres, qui coûtent, sont dédaignés comme laboureurs : un petit nombre d’esclaves devra suffire à de vastes domaines. Pour l’amour d’un gain plus considérable encore, la grande culture est ensuite remplacée par l’unique