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avisé, accoutumé, au jeu des grandes affaires, expert aux évolutions savantes et aux transactions utiles, tout prêt même, s’il le fallait, à nouer amitié ou à chercher son avantage avec le régime de juillet, sauf à lui répéter sans cesse du haut de son infaillibilité qu’il ne pouvait pas durer, qu’il mourrait fatalement comme il était né. Il ne se doutait pas, l’habile homme, qu’il n’était prophète qu’à demi, que cette monarchie libérale de France, avec laquelle il jouait quelquefois dangereusement, pourrait être emportée comme il le disait, mais que ce jour-là il serait emporté lui-même avec son système, avec sa politique, avec l’ordre européen, dont il se croyait toujours le gardien privilégié.

Il y a plusieurs périodes dans les rapports du chancelier de cour et d’état avec la monarchie de 1830, il y a plusieurs phases d’une même politique. La première est cette période orageuse, troublée, où se pressent et se succèdent tous ces incidens : — la révolution belge, l’insurrection de Pologne, les mouvemens italiens, les agitations allemandes, — et où la guerre semble à tout instant près d’éclater. M. de Metternich ne s’y trompait pas. Il craignait tout : il craignait les incidens qui pouvaient de jouer tous les calculs ; il craignait encore plus les idées que la France de juillet représentait, surtout ce principe de non-intervention dont elle s’armait un peu au hasard pour la protection de la liberté des peuples, pour sa propre défense contre les politiques absolutistes. La difficulté était d’autant plus grande pour lui qu’il voyait partout l’Europe divisée ou indécise. D’un côté, la révolution de 1830 trouvait presque aussitôt un appui, une sorte de popularité à Londres. L’Angleterre, représentée d’abord par les tories avec le duc de Wellington et lord Aberdeen, puis bientôt par les whigs avec lord Grey et lord Palmerston, n’entendait sûrement pas favoriser les ambitions de la France et nous livrer les traités de 1815 ; elle cédait à un entraînement libéral et un peu aussi au ressentiment contre les Bourbons, dont le dernier acte avait été l’expédition d’Alger. Elle se laissait facilement persuader par le premier envoyé du roi Louis-Philippe, M. de Talleyrand, qui mettait son habileté et son orgueil à conquérir l’alliance anglaise pour le nouveau régime. L’Angleterre était peut-être une alliée peu sûre ; elle était dans tous les cas une alliée utile pour un gouvernement naissant. — D’un autre côté, à ces premiers momens, le chancelier d’Autriche n’était pas aussi sûr qu’il le disait et qu’on le croyait à Paris de la Russie et de la Prusse. Il y avait sans doute l’alliance intime, spontanée, des antipathies contre ce qui venait de se passer en France, il n’y avait pas une alliance précise. M. de Metternich, sous le coup de la révolution de Juillet, avait pu tout au plus signer avec M. de Nesselrode ce qu’il appelait le « chiffon de Carlsbad, » une sorte de mémorandum sommaire et