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séparer des autres puissances, puis enfin parce que c’était sa politique, parce qu’il mettait avant tout l’intégrité ottomane menacée par la remuante ambition de Méhémet-AIi. Il n’avait sûrement pas prévu l’explosion qui allait se produire en France.

Dès qu’il voyait les malheureux effets du coup de théâtre du 15 juillet, tout ce mouvement de passions, d’armemens précipités, de manifestations guerrières et révolutionnaires, qui éclatait en France, le chancelier ne laissait pas d’être troublé. Il faisait bonne contenance, sans doute, devant les vives objurgations que M. Thiers adressait au comte Apponyi à Paris, et que M. de Sainte-Aulaire était chargé de lui porter à lui-même à Vienne. Il opposait un calme assez sévère à des menaces qui n’avaient d’autre résultat que de réveiller les ardeurs de 1813 au-delà du Rhin, et, à tout événement, il se préparait à s’entendre avec la Prusse pour la défense de l’Allemagne ; mais en même temps il s’étudiait à réduire les proportions de ce qu’il appelait encore un « dissentiment, » à désavouer toute idée d’offense, d’exclusion ou de défi pour la France. « D’où lui viennent les dangers ? disait-il… De qui et par quelles voies l’insulte lui serait-elle venue ? .. Aucune puissance n’a désiré mettre la France à l’écart, et cela par la fort simple et peu sentimentale raison qu’on ne met pas à l’écart une puissance telle que la France… » A peine engagé avec ses alliés dans la campagne poursuivie contre Méhémet-AIi, il avait hâte d’en finir ; il commençait à craindre les procédés brouillons et violens de lord Palmerston, qui, disait-il, « a reconnu, une fois dans sa carrière de whig, le véritable droit, mais qui veut le faire triompher à la manière des joueurs qui prétendent faire sauter la banque… » En un mot, le chancelier d’Autriche reprenait son rôle de modérateur, de tacticien négociateur, cherchant avant tout à empêcher le « conflit turco-égyptien » de devenir une « guerre européenne. » Le chancelier ne demandait pas mieux que de ménager la France dans l’intérêt de la paix, c’est bien sensible.

Il avait d’ailleurs, dès le premier moment, et c’était sa force, le plus puissant des complices à Paris dans le roi Louis-Philippe lui-même, qui, après s’être associé avec M. Thiers aux ardentes manifestations de l’opinion française, n’avait pas tardé à reprendre son sang-froid, à mesurer les dangers d’une conflagration universelle. Peut-être même le roi, dans la liberté de ses entretiens avec les ambassadeurs étrangers, avait-il trop parlé ou trop laissé deviner sa pensée. On savait, on croyait savoir, à Vienne, ce qu’il pensait ; on lui prêtait des confidences qu’on se plaisait à exagérer ou à dénaturer, et la princesse de Metternich a pu écrire dans son Journal : «… Il ressort d’une conversation du roi avec Apponyi que les arméniens qui se font en France ne sont motivés que par des raisons