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décidée la réorganisation de l’Europe et où s’ouvre un ordre nouveau. Nul, en réalité, n’a mieux que lui représenté, façonné à son usage et gouverné cet ordre de 1815 dont il était un des inspirateurs. Nul aussi n’a su plus habilement tirer parti de la victoire pour refaire la puissance autrichienne, pour restaurer une sorte de suprématie impériale adaptée aux temps nouveaux. Son système était aussi simple qu’adroitement calculé. Il a toujours voulu faire de l’Autriche reconstituée la maîtresse de la confédération germanique qui venait de naître à Vienne, puis se servir de cette confédération même pour dominer l’Allemagne, pour soumettre les nouveaux confédérés, tous les états allemands, à un régime uniforme de silence dans l’immobilité. Son rêve a toujours été en même temps de rester le lien entre les puissances, de les intéresser à cet ordre de 1815 qui était leur ouvrage, de constituer, sous le nom de sainte-alliance ou sous tout autre nom, la défense européenne contre tout ce qui pouvait troubler le repos des sociétés, la garantie de l’équilibre si péniblement restauré. Et ce système, il l’a pratiqué avec un singulier esprit de suite, un peu en pédagogue de la haute diplomatie, contenant la Prusse par la jalousie des autres états et les autres états par la Prusse en Allemagne, s’étudiant à être le médiateur des rivalités et des ambitions en Europe, essayant, quand il n’a plus eu la sainte-alliance, de se retrancher dans l’alliance restreinte du Nord. C’est essentiellement le politique de l’équilibre et de la paix, le défenseur le plus intrépide de l’ordre conservateur et de l’ordre territorial, représentés par les traités de 1815. Pendant trente-quatre ans, il a réussi à peu près, sinon à tout sauver, du moins à durer, à être un arbitre accepté en Europe, à identifier son règne avec la paix. — Il a vécu assez pour voir son ascendant personnel s’évanouir et son œuvre même détruite ou menacée de toutes parts en Italie, en Allemagne comme en Europe !

Laissez passer quelques années, en effet, tout est déjà singulièrement changé. La dernière victoire, une sorte de victoire posthume du système de M. de Metternich, c’est la scène d’Olmütz, — 1850, — où l’Autriche, relevée des crises de 1848, fait sentir encore le poids de sa prépotence à la Prusse humiliée. Le moment du grand duel n’était pas venu. Un jour, vers cette époque, en 1851, celui qui fut si longtemps le chancelier de cour et d’état, rentré depuis peu en Allemagne, reçoit au Johannisberg une visite d’un inconnu, et Mme de Metternich inscrit la visite comme le fait le plus ordinaire dans son Journal : « L’envoyé de Prusse, dit-elle, M. de Bismarck, qui remplacera le général de Rochow à la diète, a passé une journée avec nous. Il a eu une longue conversation avec Clément, et il paraît avoir les meilleurs principes politiques. Dès le premier moment, il a beaucoup intéressé mon mari. Je l’ai trouvé