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vie en vue d’un aimable repos d’esprit et de cœur ; cela, ce n’est que de l’hygiène ; égoïste ardent, impétueux, aventureux, batailleur et amoureux de la gloire ; personnel, si l’on veut, plutôt qu’égoïste ; mais on sait bien que personnel est un euphémisme. Il l’a été, je dis personnel, un peu plus qu’il ne convient à « l’honnête homme » dans toute la noble signification du terme. Quand il dit : « Enfin ! » dans son journal, aux cent jours, le contexte indique que cela ne veut pas dire : « Enfin je vais être utile ; » mais : « Enfin je vais être considéré ; » ou peut-être : « Enfin, je vais être forcé de travailler, et les circonstances vont se charger de ma conscience. » Cela n’a rien de méprisable ; cela n’a rien de très haut. Ses élans mêmes ne sont que d’estimables efforts, et ses vertus ne sont que de bonnes qualités. Quand il prend rang, il ne fait, à juger un peu sévèrement les choses, qu’élever l’égoïsme à un certain degré où il change de nom, sans changer complètement de nature. Il l’emporte avec lui un peu plus haut, beaucoup plus haut, pour être juste ; mais il ne s’en affranchit pas. Nous verrons peut-être que cela peut expliquer bien des choses, même en ce qui concerne sa tournure d’esprit.

II

Il a tracé admirablement tout ce caractère complexe dans son beau roman d’Adolphe, Il n’y avait que Constant et La Rochefoucauld pour écrire ce livre. Il est donné à si peu d’hommes de se peindre sans se flatter, ou sans se flétrir, ce qui, comme on sait, est un joli détour de la vanité pour se faire valoir encore, que le conseil à donner atout romancier est : Peignez les autres. A un endroit du Journal, Constant, se relisant, s’écrie : « Quoi que j’en aie, j’ai encore parlé pour le public. » Eh bien ! la chose est incroyable, mais ici il se calomnie. On relit après lui, et on a le sentiment qu’il n’a pas songé à « faire effet. » L’accent de sincérité est absolu. Il y a eu peu d’hommes plus loyaux en leurs confessions que cet homme-là, et c’est pourquoi, malgré tout, il est sympathique. Tel il est dans le Journal, tel dans Adolphe, qui n’est qu’un journal composé et ramassé, mais non embelli. On le voit bien là, avec son mélange d’égoïsme et de sentiment, « d’enthousiasme et d’ironie, » son persiflage destiné à couvrir et à défendre sa timidité, son besoin d’indépendance contrarié par son éternel besoin de sociabilité, sa sécheresse de cœur et ce grain de sensibilité qui consiste à sentir qu’il en manque et en souffrir, a cet esprit dont on est si fier et qui ne sert ni à trouver du bonheur ni à en donner, » ces amours qui doivent enchaîner toute une vie et qui commencent par