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le moins de gouvernement possible, je demande un minimum de gouvernement, ce qui n’est pas la même chose. Je demande qu’on détermine exactement les limites strictes de l’utilité du gouvernement, qui seront celles de son droit et celles de sa prise, et en deçà desquelles sa force doit être grande, et au-delà desquelles sa force doit être nulle. Il ne faut point de gouvernement hors de sa sphère, mais dans cette sphère il ne saurait en exister trop. Je demande que le gouvernement soit une activité libre dont la mesure de force soit déterminée par les services mêmes qu’il peut me rendre ; je veux qu’il ait juste la puissance qu’il lui faut à l’extérieur pour me défendre et à l’intérieur pour me protéger, mais qu’au-delà ni il ne me demande aucun sacrifice, ni il n’ait sur moi aucune action ; en d’autres termes, et c’est seulement pour moi que je l’arme, et c’est pour ma sauvegarde que je limite la portée de ses atteintes.

Lui parlez-vous d’aristocratie ? Il en garde en son système quelques vestiges, pour ainsi parler. Il veut, par exemple, une chambre haute héréditaire, sans expliquer très nettement pourquoi il la veut telle. Mais il n’a nullement l’intelligence du système aristocratique. Il n’y voit qu’oppression, privilège, réserve faite d’une partie de la force sociale au profit d’une classe, aux dépens de l’individu, et tout ce qui est emmagasinement de force sociale quelque part, et où que ce soit, est excellemment ce qu’il ne peut ni admettre ni même comprendre. L’aristocratie lui paraît, à lui si hostile au despotisme, plus funeste que le despotisme même : « Plus funeste en un temps de commerce et de lumières, parce qu’en un tel temps, le pouvoir absolu d’un seul est impossible ; or, dès que le despotisme pur est impossible, le véritable fléau, c’est l’aristocratie. » Ce qu’il faudrait prouver, c’est qu’il puisse exister un temps où le despotisme soit impossible, en effet, et, dès qu’il est possible, que l’aristocratie n’en est pas le frein le plus fort.

Lui parlez-vous de démocratie ? Constant semble y incliner. Il considère la marche entière de l’humanité comme un progrès vers l’égalité : « La perfectibilité de l’espèce humaine n’est autre chose que la tendance vers l’égalité. » Mais, chose très remarquable, Constant est égalitaire sans être démocrate. Il veut les hommes égaux pour qu’aucun n’impose sa volonté à un autre, mais non pas pour que tous imposent leur volonté à chacun ; car ceci encore serait une limite à la liberté individuelle, et la plus étroite, une oppression de la personne humaine, et la plus lourde. Rousseau a tort ; il croit que « chaque individu aliène ses droits à la communauté ; » c’est une doctrine de despotisme ; l’individu n’abdique jamais, il n’en a pas le droit ; voulût-il devenir une chose, il reste un homme. Les hommes sont égaux en ce sens qu’ils sont également libres, non