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fraternité, d’amour, de pitié, de dévoûment et de sacrifice donnée au monde. Tout le christianisme est là pour ceux qui l’ont embrassé ; le Sermon sur la montagne est tout le christianisme, parce que c’est ce que le monde en a compris ; là est l’ébranlement, la secousse, l’étincelle ; la révolution chrétienne est une révolution morale, entourée de beaucoup de choses qui ont passionné les habiles et amusé les subtils, mais dont les simples ne se sont point autrement occupés. Et, à l’inverse encore de ce qui avait été vu, c’est sur cette morale qu’une religion peu à peu s’est formée, c’est autour de cette morale qu’une religion s’est organisée, religion qui, comme les autres, a contenu, admis ou mal repoussé les élémens religieux traditionnels, symbolisme, anthropomorphisme, multiplicité des génies bienfaisans ou funestes, fétichisme même, et ici toute la théorie de Constant pourrait reparaître ; mais religion qui, au lieu d’avoir dans la morale un ennemi extérieur qui peut pénétrer en elle et la dissoudre, a dans la morale son principe primitif et son principe intime, en telle sorte que, soit qu’on la dépouille de ses enveloppes pour la surprendre en son fond, soit qu’on remonte les temps pour la saisir en son origine, ce qu’on trouve dans son âme et ce qu’on trouve dans sa source, c’est cette morale inattaquable ou invincible, vénérable même à ses ennemis, et qui lui est et un titre antique de noblesse et une garantie éternelle de rajeunissement, puisque qui veut l’attaquer ne le peut faire qu’en lui prenant son principe même, d’où suit que qui veut la détruire ne peut aboutir qu’à la restaurer. — Montrer cette originalité surprenante du christianisme, la bien établir par une comparaison approfondie avec tout le paganisme, y trouver la raison pourquoi le paganisme, relativement tolérant jusqu’alors, est devenu contre la religion du Christ intransigeant et persécuteur, comme on le devient toujours contre ce qui est absolue négation et condamnation à mort de ce qu’on est soi-même ; trouver dans ces persécutions mêmes et cette lutte d’une part, dans la nécessité ensuite où tout nouvel établissement humain est toujours d’accepter en partie l’héritage de ce qu’il remplace, de quoi expliquer la transformation du christianisme en religion métaphysique et même mythologique, et, toujours, montrer ce fond permanent et indestructible de doctrine morale, cette âme immortelle du christianisme qui le défend et le protège à ce point qu’une révolte contre lui se ramène toujours à être un appel à lui-même ; à chaque instant, on croirait que cela va être le livre de Benjamin Constant, livre digne de lui, en conformité avec ses sentimens, et où le philosophe, le chrétien, et, remarquez-le, le protestant aussi, trouverait son compte. Ce n’est pas le livre qu’il a écrit, et c’est un désagrément perpétuel, à lire ces volumes, de voir à côté de quels beaux sujets l’auteur a passé, et, ce qui désoblige davantage, en les