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accorder les nuances de leurs ajustemens, si habiles à enluminer leurs visages et à modeler leur taille. En praticien expert, il abonda, à ce sujet, en détails techniques des plus concluans, prouvant clair comme jour que les grandes élégantes de la Piazza della Signoria restaient les plus fidèles gardiennes de la tradition et les plus sérieuses inspiratrices de l’avenir, puisque, si hardies et si expertes dans l’art de se peindre et de se sculpter, elles savaient, mieux que les artistes, réparer les incorrections et les maladresses de la nature en corrigeant la réalité conformément à un certain idéal.

Cette plaisanterie me revient en mémoire, à chaque ouverture du Salon, lors de la fameuse journée du vernissage, à l’heure où se coudoient, devant les quatre mille cadres exposés, dans un pêlemêle brillant et bruyant, tout ce que Paris renferme d’artistes et de femmes à la mode. Il est certain que notre école française, flottant entre des traditions vieillies et des aspirations mal définies, se trouve, depuis quelques années, aussi désorientée relativement que pouvait l’être l’école florentine à la fin du XIVe siècle. David, Géricault, Ingres, Delacroix, n’ont pas encore trouvé de successeurs à leur taille capables d’imposer une discipline et une direction à cette innombrable armée de volontaires tiraillant à la débandade. Aussi ne manque-t-il pas, dans cette cohue bariolée et jacassière, de vénérables Gaddi pour s’apitoyer sur la misère des temps et pour déclarer que tout est perdu. De leur côté, les Alberts, prompts à se consoler des déchéances de l’idéal par les jouissances de la réalité, sont plus nombreux encore, et, en vérité, les dames de Paris, aussi habiles que les dames de Florence à varier leurs ajustemens, semblent donner raison à leur facile optimisme. Ne peut-on pas, à toutes les époques, saisir une relation flagrante entre la façon dont s’habillent les femmes et la façon dont les peintres, leurs admirateurs naturels et facilement séduits, comprennent les jeux de la couleur ? L’ampleur calme et chaude des larges corsages pourprés chez Giorgione et chez Titien, le ruissellement chatoyant des lourdes jupes de brocart chez Véronèse, les magnifiques éclats des velours somptueux chez Rubens, la distinction des habillemens sombres chez Van Dyck, leur gravité paisible et bourgeoise chez Rembrandt, le frétillement des satins et le papillotage des fanfreluches chez Nattier et chez Fragonard, la raideur froide des fourreaux décolletés chez David et chez Ingres, ne sont-ce pas le reflet des modes et des mœurs contemporaines ? De même entre le bariolage subtilement combiné des étoffes à tons rompus qui forme aujourd’hui l’agrément le plus vif des toilettes féminines et le bariolage souvent délicat des colorations atténuées où se plaisent aujourd’hui la plupart des peintres, il existe certaines parentés qui n’échappent point