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vous laissent pas, à une seconde visite, le sentiment amer d’une illusion perdue. Telle est, par exemple, l’Esclave à vendre, de M. Boulanger, trop parisienne, il est vrai, et trop savonnée, mais qui déroule, avec une grâce délicate, le long d’une baraque en planches, les souples beautés de son corps virginal. Telle est l’Orpheline, de M. Jules Lefebvre, fillette malingre, toute craintive et ramassée sur un banc d’église, derrière la vieille aïeule en prières. M. Jules Lefebvre a traité ce sujet banal, qui prête aux trivialités réalistes ou sentimentales, avec la gravité simple d’un peintre d’histoire ; les deux têtes, fortement expressives, malgré la sobriété de la peinture, y dominent tous les accessoires, comme dans les bons portraits. L’habitude d’analyser souvent et avec précision des visages compliqués donne à MM. Boulanger et Lefebvre un sentiment vif et un respect de la réalité qui se retrouvent toujours à quelques degrés dans leurs autres ouvrages. Si M. Bouguereau, qui a fait quelques bons portraits, en avait fait un plus grand nombre, peut-être ne serait-il pas exposé à ce reproche que sont obligés de lui faire ses plus sincères admirateurs, à savoir que ses figures sont trop peu caractérisées, qu’elles n’ont que peu ou point de type individuel, qu’elles ne font pas preuve, par conséquent, d’une existence certaine et d’une vie assurée. Dans la Baigneuse et le Premier Deuil, on peut admirer toutes les qualités scolaires, facilité d’arrangement, dextérité d’exécution, sûreté de facture, qui étonnent toujours chez ce maître habile. Il est sûr qu’Ingres peinait beaucoup plus à faire et refaire une figure académique, et que Delacroix se tourmentait davantage pour mettre en scène un drame religieux, il est incontestable qu’on sent dans leurs œuvres plus d’effort, plus d’inquiétude, plus de trouble ; mais la postérité ne les a-t-elle pas bien payés de leurs souffrances ?

On trouve, parmi les jeunes portraitistes, nombre de braves garçons qui ne tiennent pas à être si sages. La plupart, sur les indications de Bastien-Lepage ou de M. Fantin-Latour, s’efforcent, soit de saisir la physionomie humaine par ce côté incisif et naïf qu’analysaient si finement les vieux Flamands et les vieux Français, soit de la vivifier et de la poétiser, dans sa simplicité, par l’action délicate d’une lumière choisie ou par le voisinage expressif des accessoires familiers. Le danger que courent les premiers, c’est de sacrifier les qualités solides de la peinture à des apparences de finesse qui ne supportent pas le moindre agrandissement : Hemling et surtout les Glouet ont apporté, dans leurs images exquises, des procédés de miniaturistes dont il faut, se défier ; chez leurs imitateurs, la pâte s’amincit, la peinture se creuse, les reliefs s’affaissent, le modelé se borne à, des indications légères sur les surfaces plates. On a vu,