Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/662

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malheureux de la réalité ou qui leur fait compromettre d’heureuses inspirations par la négligence de la mise en scène, l’infériorité du rendu, la disproportion excessive des cadres avec l’intérêt réel du sujet. Peintres de genre comme paysagistes oublient fréquemment cette vérité si chère aux vieux Hollandais, leurs maîtres éternels, c’est qu’un bon tableau, comme un bon flacon, doit être bien rempli, que le fruit le plus savoureux n’est pas le plus gros, mais le plus sucré. Il en est d’un ouvrage d’art comme d’un livre, il faut qu’il y ait bonne mesure ; les délayages, les remplissages, les boursouflures, les vides y font un déplorable effet. On ne se lassera jamais de regarder un Ostade non plus qu’un Hobbema, un Pieter de Hoogh non plus qu’un Ruysdael, et de notre temps un Millet non plus qu’un Théodore Rousseau, parce que tous ces artistes, riches de sensations, abondans en observations, ont toujours su accumuler, dans un cadre donné, la plus grosse somme de poésie et d’intérêt qu’il pouvait contenir. Parfois même, chez eux, le verre est si plein, qu’il semble prêt à déborder, comme un tercet de Dante, un sonnet de Pétrarque, une fable de La Fontaine, une figure de Meissonier, où le contenu, trop condensé et trop ramassé, a peine à se fixer dans le contenant ; mais qui s’est plaint jamais de ces excès de concision et de ces entassemens de richesse ?

Ce n’est pas qu’il soit impossible, assurément, de donner, dans certains cas, à de simples campagnards ou à de modestes bourgeois, des dimensions épiques. Hals, Rembrandt, Van der Helst, l’ont fait, avec le succès qu’on sait, pour leurs compatriotes, en plus d’une occasion ; c’était généralement par de bons motifs, soit pour perpétuer un souvenir scolaire ou civique, soit pour grouper un certain nombre de personnages intéressans. Il n’est guère venu à Brueghel-le-Drôle ni à David Téniers l’idée burlesque de donner la même importance à leurs magots avinés. C’est une question de tact, et, dans les cas d’agrandissement, il est indispensable que l’exécution accentue son caractère de force, de largeur, de liberté, en raison directe de la proportion du cadre. Il nous semble, par exemple, nous l’avons dit, que la façon de peindre de M. Brouillet est trop mince, trop transparente, trop vitreuse pour justifier les dimensions prises par son Amour aux champs. De même, M. Fourié, plus résolu pourtant et plus ferme, en menant, sous le soleil, dans sa Dernière Gerbe, une ronde joyeuse de paysans normands, ne leur a su donner ni la solidité ni le relief nécessaires dans une aussi vaste composition. Il est bon de fréquenter Hals et Rubens avant d’entreprendre de semblables kermesses. C’est avec ces maîtres robustes qu’a vécu de bonne heure M. Roll (l’une de ses premières œuvres fut une Fête de Silène d’une inspiration toute anversoise),