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Ingres, depuis Rembrandt jusqu’à Millet. L’apparition la plus chère à M. Jules Breton, c’est la paysanne, robuste et saine, qui, sa besogne accomplie, la tête droite sous un faix de javelles, s’en revient, lente et pensive, dans la lueur empourprée du crépuscule, à travers la plaine rafraîchie et déjà silencieuse. Nous l’avons autrefois connue, cette belle moissonneuse ou faneuse, jeune et divine, dressant son buste ferme avec la noblesse d’une choéphore antique ; nous l’avons ensuite revue, plus naïve et plus familière, déjà un peu éprouvée par le hâle des longs étés et par la dureté du travail. Nous la retrouvons, cette année, plus mûre et plus fatiguée, le front déjà plissé, l’œil creusé par les souffrances de la vie, s’avançant, avec une gravité religieuse, dans l’auréole consolatrice du soleil couché. Pourquoi cette incarnation nouvelle d’une image si connue nous paraît-elle supérieure, pourquoi est-elle supérieure à ses aînées ? Précisément par toutes sortes de raisons spéciales et techniques qui enchantent l’œil et qu’il est difficile à la plume d’expliquer, par l’exquise disposition des ombres et des lumières, par la délicate vibration des colorations rompues et par leur association harmonieuse, par cette présence constante, à chaque touche, à chaque détail, de l’âme du peintre, qui s’est répandue partout avec la même science, avec la même conscience, avec la même précision. La précision dans la simplicité, tout est là en réalité pour les peintres comme pour les poètes ; combien peu, même dans leur maturité, atteignent ce fuyant idéal !

L’Étoile du berger est un régal d’amateurs. Les Jeunes filles se rendant à la procession sont un régal public. Imaginez-vous, dans un site montagneux, sur un plateau tapissé d’herbes drues et de fleurs vivaces, dans la lumière déjà lourde d’un matin d’été qui rougit au loin les terrains chauds d’une campagne volcanique, une bande joyeuse de jeunes villageoises en blanc se hâtant pour arriver à la fête. Devant ces grandes filles, longues, poussées en graine, aux visages bruns et roses, avec des airs de santé réjouis-sans, avec toutes sortes d’ardeurs chastes et naïves dans leurs yeux noirs d’Auvergnates, avec des mains un peu fortes, comme il sied à de bonnes travailleuses, péniblement emprisonnées dans les gants blancs, chemine une petite fillette, une blondine toute fraîche, habillée de chiffons roses, et portant, suspendue à son cou, par un ruban rose, sa corbeille remplie de roses effeuillées pour joncher la route devant le saint cortège. Le doux papillotage de ces tons roses, se mêlant au frémissement de tous les tons blancs des robes et des voiles de mousseline sous une lumière délicate et caressante, est combiné avec une science délicieuse. Quant aux physionomies de ces jolies campagnardes, elles sont cherchées, étudiées,