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Mouleurs dans un hangar, Mme Delance-Feurgard, en rangeant dans une Crèche plusieurs files de berceaux remplis de bébés, se conforment, au contraire, aux principes de l’ordre dispersé, qui sont ceux de la nouvelle école. Dans tous ces intérieurs, encombrés sans choix, comme dans la réalité, de mobiliers de toute espèce, le soleil entre à flots, de tous les côtés, criblant tout d’étincelles, de rayons, de reflets, en sorte que l’effet produit par ce cliquetis scintillant de couleurs vives et provocantes est tout d’abord un effet d’éblouissement. Sans doute, l’éblouissement est un effet donné par la nature ; on peut être aveuglé par un reflet du soleil sur un mur blanc ou une roche calcaire ; il ne s’ensuit pas que cet effet puisse à lui seul donner une sensation d’art. Dans les peintures dont il s’agit, on trouve, sans doute, soit dans l’analyse de l’effet lumineux, soit dans la présentation des figures qu’il enveloppe, des recherches tout à fait curieuses et souvent très délicates ; mais il n’en reste pas moins vrai que, dans l’intérêt des figures et des sujets, toute cette bacchanale de couleurs gagnerait à être disciplinée et maîtrisée, même chez M. Dantan, dont le tableau, mieux simplifié et plus ramassé que les autres, est exécuté avec la franchise, la justesse, la clarté dont cet artiste a déjà donné tant de preuves.

Si quantité de jeunes impressionnistes se laissent étourdir par la multiplicité des couleurs en action dans le monde extérieur, M. Cazin donne l’exemple d’un homme qui se possède toujours et qui emprunte seulement à la réalité ce qu’il lui faut d’harmonies douces et de délicatesses justes pour exprimer son rêve délicat. Comme M. Puvis de Chavannes, c’est par l’apaisement des colorations et par l’atténuation des formes que M. Cazin donne aux scènes les plus vulgaires, telles que la rencontre d’un ouvrier en blouse et casquette et de sa femme après la Journée faite, l’aspect grave et mélancolique d’une scène biblique jouée sur les rives d’une Seine élyséenne, dans un lointain serein et mélancolique. C’est de la décoration murale plutôt qu’un tableau enfermé dans un cadre, de la fresque plus que de la peinture ; mais comme on y trouve quelques-unes des qualités harmonieuses de la peinture murale, et quelques-unes des grâces douces de la fresque, on se voit bien obligé d’accepter, par exception, ce système d’affaiblissement de la ligne et du ton qu’il est nécessaire de combattre en principe. Puisque le mot de poésie est le seul qu’on ait encore trouvé pour exprimer une certaine exaltation saine et noble de l’âme qui donne aux rêves la vraisemblance de la réalité et qui dégage, du tumulte incohérent des choses, leur vérité, leur harmonie, leur beauté, il faut reconnaître que les œuvres de M. Cazin, notamment cette Journée faite, sont profondément imprégnées de poésie. C’est dire que ce sont, malgré certaines insuffisances matérielles, des œuvres