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l’attention. Un grand carton de M. Ehrmann, les Lettres, les Arts et les Sciences dans l’antiquité, exécuté en tapisserie aux Gobelins pour la Bibliothèque nationale, présente une intéressante composition, révélant une science des attitudes, un respect des belles formes, un sentiment des harmonies douces, qui deviennent de plus en plus rares. Il serait injuste de ne pas s’arrêter aussi devant quelques compositions plus modestes, mais conçues dans un esprit poétique, comme l’Affligée et la Muse de M. Aman-Jean, l’Orphée et le Saint Hubert de M. Lagarde, la Damnation de Faust et l’Or du Rhin de M. Fantin-Latour. En dehors des ouvrages historiques déjà signalés, quelques autres dénotent encore, soit une étude approfondie de la forme humaine et le sentiment du style héroïque, comme le Pro Aris et Focis de M. Lœwe-Marchand, soit une habileté déjà grande de metteur en scène et de praticien, comme l’Attila consultant les aruspices de M. Bordes, soit des tentatives heureuses pour rajeunir des sujets usés par l’introduction d’un élément moderne, comme la Sainte Cécile de M. de Richemont, la Légende de saint Dénis de M. Delance, la Jezabel de M. Guay, la Marie-Madeleine de M. Leenhardt, la Légende de saint Martin de M. Rachou, le Fil de la Vierge de M. Lucas, etc. Nous n’aurions d’ailleurs qu’à répéter, à propos de la plupart de ces peintres, les observations déjà faites pour d’autres : ce qui leur manque, ce n’est ni le talent d’observation, ni même le talent d’exécution, mais seulement cette patience et cette volonté qui permettent d’abord de pousser jusqu’au bout ses études techniques et ensuite d’approfondir un sujet choisi. Malheureusement, les qualités sérieuses, intrinsèques, fortes ou délicates d’une peinture ne sont pas celles qui la font du premier coup distinguer dans le pêle-mêle scandaleux d’abominables barbouillages qui encombrent le Salon. Ce qui d’abord saute aux yeux du public, c’est le bizarre, le brutal, l’étrange, le gigantesque, l’inconvenant. Il en sera ainsi tant que les jurys prendront pour devise le cri du grand inquisiteur pendant le massacre des Albigeois : « Tuez-les tous, tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! » Le jury tue toutes les peintures en les acceptant toutes. Aucun amateur, aucun critique ne possédant ni l’ubiquité, ni l’infaillibilité du juge céleste, est-il surprenant que nous éprouvions quelque peine à reconnaître les nôtres ?


GEORGE LAFENESTRE.