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peu de plus nobles, parce qu’il y en a peu qui témoignent d’un plus noble souci, d’une inquiétude plus vive des intérêts les plus généraux et les plus permanens de l’humanité.

Ce fut la tâche que se donna M. Caro, qu’il poursuivit pendant plus de trente ans, et que la mort ne lui permit pas d’achever. Le titre seul de son premier recueil : Études morales sur le temps présent, indiquait la nature de ses préoccupations ; et le choix de ses sujets achevait de la déclarer ou de la préciser. Il y traitait, en effet, des Religions nouvelles, de l’Idolâtrie humanitaire, de la Religion positiviste ; et c’était comme l’esquisse d’un programme qu’il se proposait plus tard de compléter et de remplir. Et, effectivement, l’Idée de Dieu, la Philosophie de Goethe, le Matérialisme et la Science, les Problèmes de morale sociale, le Pessimisme, tous ses travaux, comme son enseignement lui-même, n’allaient avoir pour objet que de déterminer ou de serrer de plus près les conditions du problème moral ; d’en reconnaître les différens aspects ou d’en relever, si je puis ainsi dire, dans l’histoire de la pensée contemporaine, les positions successives ; d’en montrer l’étroite liaison, la solidarité nécessaire avec la métaphysique ; et, enfin, d’en préparer, par la discussion des solutions adverses, la solution spiritualiste, puisque c’était la sienne. C’était aussi bien alors, dans les premières années du second empire, le seul ou le meilleur moyen qu’il y eût de ranimer la philosophie : la tirer de ses histoires pour la mêler au mouvement des idées, et revendiquer en son nom le premier de ses droits, qui est de conduire et de gouverner la vie. Qu’est-ce qu’une morale sans métaphysique ? Nous en dirons quelques mots tout à l’heure. Mais qu’est-ce qu’une métaphysique sans morale ? C’est le roman de l’infini.

On commence à comprendre aujourd’hui la gravité du problème moral, et que la morale elle-même, l’ancienne morale, cette morale naturelle dont le caractère impératif équivalait à une révélation d’en haut, cette morale universelle dont les variations n’effaçaient pas, disait-on, le caractère d’universalité, puisqu’elles s’efforçaient de le réaliser dans le temps, cette morale immuable enfin dont on respectait les lois, tout en les transgressant traverse une crise dont personne encore ne voit comment elle sortira, si même peut-être elle n’y reste. Avec la diversité des réponses que l’on s’est efforcé de faire, depuis quelques années seulement, à cette redoutable question, on remplirait plus d’un volume. On remplirait des pages entières avec la seule énumération du titre des livres et du nom des auteurs qui l’ont tour à tour ou ensemble abordée. L’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, de M. M. Guyau, l’Evolution de la morale, de M. Ch. Letourneau, la Civilisation et la Croyance, de M. Ch. Secrétan, la Morale économique, de M. de Molinari, les Principes du droit, de M. Emile Beaussire, tous ces ouvrages, que je cite à peu près au hasard de la plume, qui sont presque tous d’hier, — et combien en pourrais-je ajouter à la liste, — c’est ce