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plus sincère ni plus radical que celui du fond duquel, il y a bientôt dix-neuf cents ans, le christianisme est sorti, si ce n’est peut-être celui dont on peut dire, quatre ou cinq siècles auparavant, qu’il fut la racine du bouddhisme. Dans ses éloquentes et spirituelles études sur le Pessimisme, je crains que M. Caro n’ait pas vu le secours que le pessimisme, bien expliqué, pouvait prêter à ses propres idées et à ses espérances.

Mais où j’approuve entièrement, c’est dans ses longues discussions contre le positivisme, qui remplissent, comme l’on sait, son Idée de Dieu, ses Problèmes de morale sociale, son livre encore sur M. Littré et le Positivisme. Tout ce que l’on peut inventer, en effet, d’argumens, il l’a inventé, tout ce que l’on peut mettre dans une discussion de ce genre, ou de souplesse, ou de vigueur, ou d’ardeur, il l’a mis dans ces trois livres, pour établir la thèse qu’il a faite ainsi sienne par-dessus toutes les autres : celle de la dépendance de la morale et de la métaphysique. Ai-je besoin de rappeler comment la question se présente ? Il ne s’agit pas de rendre à une religion, la catholique ou la protestante, la grecque ou la mahométane, ses droits ou ses prétentions sur le gouvernement de la conduite humaine, pas plus que de lier la moralité même à une doctrine métaphysique unique, l’idéaliste ou la spiritualiste, l’optimiste ou la pessimiste, mais seulement de faire voir que toute règle des mœurs, — et quand ce serait celle d’Aristippe ou d’Helvétius, — implique nécessairement une conception de la vie ou une idée de la nature, du pouvoir, et de la fin de l’homme, qui est proprement ce qu’on appelle de la métaphysique. « Toutes ces questions de nature et de fin sont si intimement mêlées à notre substance morale qu’aucun effort de chimie intellectuelle ne peut parvenir à les éliminer d’une science qui a l’homme pour objet. » On ne saurait mieux dire, en moins de mots, et il est d’ailleurs possible que certains moralistes l’ignorent, mais on peut bien les défier de discuter, quelle question dirai-je ? la question du divorce, par exemple, ou celle de la liberté de tester, sans y faire tôt ou tard intervenir la métaphysique. A plus forte raison quand ils discutent des questions plus hautes, celles que ne tranche pas la loi positive, parce que l’utilité sociale, dont on a quelquefois voulu faire le fondement de la morale, n’y est pas directement et constamment intéressée. Telles sont toutes les formes du sacrifice et du dévoûment, deux mots qui portent inscrit, dans leur étymologie même, le souvenir de leur origine métaphysique, et deux choses qu’on ne peut exiger de personne qu’au nom d’une autorité supérieure à celle de l’institution sociale, c’est-à-dire métaphysique. « La morale philosophique peut commencer sans Dieu, disait encore M. Caro, elle ne peut s’achever sans lui. » Otez ce mot de Dieu, si peut-être il vous gêne, mais convenez avec M. Caro qu’aucune