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on a beaucoup parlé, ce nous semble, des « abus du parlementarisme ; » c’est même une des raisons invoquées pour la révision. Malheureusement, sans mettre en doute les intentions des hommes, c’est un mot que nous reconnaissons, il n’a rien de nouveau. Nous savons ce dont il s’agit quand on parle de réprimer les « abus du parlementarisme : » c’est le régime parlementaire tout entier qui est en péril ! Or, la monarchie vraie, qui, à un moment difficile à prévoir, peut-être la souveraine ressource de la France, n’est pas seulement une grande institution conservatrice ; elle est aussi libérale, constitutionnelle, et dès qu’elle cesse d’être constitutionnelle, libérale, ici encore ce n’est plus la monarchie, c’est l’empire avec sa constitution qui, elle en effet, met ordre aux « abus du parlementarisme » en supprimant le régime parlementaire lui-même ! En réalité, le danger de dénaturer ou de laisser dénaturer la seule monarchie possible dépasse les avantages d’une révision incohérente et problématique. Ce que sera l’avenir, personne ne peut le dire, pas plus les républicains que les monarchistes. En attendant, ce qu’il y aurait peut-être de plus prudent, de plus pratique pour des conservateurs prévoyans, ce serait de se garder des aventures, de rester ce qu’ils sont, de se servir de ce qu’ils ont, même de cette simple et modeste constitution, qui n’est un mauvais outil que pour les mauvais ouvriers ; ce serait de défendre pied à pied les droits, les libertés du pays, l’ordre financier, la paix morale, de combattre enfin sans trêve le radicalisme, qui n’est plus seulement un péril intérieur, qui devient aussi plus que jamais un péril extérieur pour la France !

On aurait beau en effet chercher à se faire illusion, un mauvais vent souffle en Europe. L’incertitude maladive de tous les rapports se prolonge, et peut-être va en s’aggravant. Ce ne sont, en vérité, de toutes parts, que défiances et préventions, armemens précipités, paniques d’opinion qui retentissent parfois jusque dans les parlemens, hostilités mal déguisées, incidens dont on n’a jamais le dernier mot ni même peut-être le secret. Sous l’apparence d’une paix à laquelle tout le monde affecte de se rattacher comme au bienfait souverain des nations, le sentiment de l’instabilité des choses est partout et se manifeste sous toutes les formes. L’état de l’Orient est pour beaucoup sans doute dans ces troubles de l’opinion et des rapports de l’Europe ; on ne sait pas ce qui arrivera et de cette éternelle question bulgare, qui est moins que jamais résolue, et des agitations balkaniques et des provinces grecques, qui se remuent, et de tout ce fouillis oriental d’où peuvent sortir tous les conflits ; on ne sait pas ce qui en sera du traité de Berlin, dont la Russie attend, sans trop s’expliquer, le rétablissement à Sofia. — Oui, sans doute, l’Orient est l’éternelle énigme ; mais aujourd’hui comme toujours, on le sait bien, ce qui se passe en Orient n’a toute son importance que par ce qui se passe dans l’Occident, et c’est dans l’Occident que la situation est aussi obscure que précaire, que se multiplient