Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/722

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

célébrer le centenaire de la révolution française, ils devaient s’en tenir simplement à une exposition française ; s’ils voulaient avoir une exposition universelle, ils devaient choisir une autre date, éviter surtout de laisser entrevoir derrière 1789 l’ombre sanglante de 1793. Ils devaient bien se douter que les gouvernemens monarchiques de l’Europe ne viendraient pas fêter avec eux les souvenirs révolutionnaires, que cette idée rencontrerait des adversaires, même parmi ceux qui, comme les Anglais, ont exécuté un roi autrefois, qui ont eu leur république, et qui couvrent aujourd’hui leur front de cendres. Ils ont agi en hommes qui ne voient rien, qui n’écoutent que leurs fantaisies et leurs passions de parti. C’est possible. Si M. Tisza s’était borné à dire que, ministre du roi de Hongrie, il ne pouvait pas s’associer à une fête révolutionnaire, rien n’eût été plus simple, surtout de la part d’un serviteur de la maison de Hapsbourg ; mais où a-t-il vu que les propriétés des exposans hongrois, le pavillon hongrois, pourraient n’être point en sûreté à Paris ? Par quel prodige de légèreté et d’imprévoyance un premier ministre a-t-il pu mettre publiquement en doute l’aptitude du gouvernement français à sauvegarder l’ordre et les étrangers, invoquer cette raison que d’ici à un an on pourrait se trouver en guerre, et même peut-être en guerre avec la France ? A quel propos la guerre entre l’Autriche-Hongrie et la France ? M. Tisza a rencontré, il est vrai, d’énergiques contradictions dans le parlement de Pesth ; il s’est même exposé à s’entendre dire : « C’est M. de Bismarck qui commande en Hongrie ! » Il n’a pas moins tenu, comme président du conseil, cet étrange langage, qu’il n’était probablement pas chargé de tenir au nom de l’empire, qui a dû paraître aussi malhabile que compromettant à Vienne.

Comment expliquer cette sortie inattendue qui ne répond à aucune circonstance apparente, cette excentricité de parole gratuitement blessante pour une nation qui n’a jamais témoigné que des sympathies pour la cause hongroise ? La vérité est que les Hongrois, ceux qui conduisent la politique officielle de la Hongrie, comprennent singulièrement leur rôle et leur position. Fiers d’avoir retrouvé leur indépendance, leur existence historique, ils se font les alliés de la force, fût-ce de la force étrangère, pour la garder ; ils ne trouvent rien de mieux que de s’associer à la politique de M. de Bismarck, de se faire les défenseurs les plus ardens de la triple alliance, en lui donnant le caractère le plus agressif. Ils ont la haine de la Russie, qu’ils rencontrent de toutes parts devant eux, et pour satisfaire cette haine en même temps que leur ambition de suprématie sur les autres nationalités slaves, ils entraîneraient au besoin l’empire autrichien dans toutes les aventures, dans une croisade contre l’empire russe. Depuis un an, les Hongrois se font les zélés propagateurs de toutes les nouvelles pessimistes ; ils font tout ce qu’ils peuvent pour envenimer les choses ; ils parlaient même récemment de reconnaître le prince Ferdinand de Bulgarie, ce qui