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souvent inexacts dans le détail, si vivans, si réels dans l’ensemble, nous essaierons de marquer le caractère, de pénétrer l’esprit des jugemens portés par Paul de Gondi sur Louis de Bourbon.

Quand on considère l’antagonisme constant de ces deux hommes, le feu de leurs rivalités, la violence de leurs luttes, les tentatives du coadjuteur pour ravir à Condé la liberté, la vie, son acharnement, on est surpris de retrouver d’un bout à l’autre de ces mémoires un ton de respectueuse admiration, sans un trait qui fasse tache. Nulle part les faiblesses du héros, les lacunes de son génie n’ont été plus finement relevées, mais toujours avec courtoisie ; jamais il n’échappe à l’écrivain une parole qui rabaisse celui qu’il a combattu ; la figure reste toujours grande et superbe. — Comment expliquer ce contraste entre la forme et le fond ? Quel est le mot de cette énigme ? D’où vient ce souci de respecter, de relever la gloire de l’ennemi ? — A certaines époques de sa carrière orageuse, même aux temps de l’hostilité la plus vive, le coadjuteur reçut de M. le Prince des marques touchantes de sympathie personnelle ; le capitaine sut même flatter la manie belliqueuse du prélat. Ainsi, un jour que les deux factions avaient failli en venir aux mains dans le champ clos du « palais, » ensanglanter le parquet de la grand’chambre, le tumulte apaisé, les épées rengainées, Condé, louant les dispositions prises par son adversaire, lui adressa un de ces complimens qu’échangent parfois les généraux en chef après s’être disputé le champ de bataille ; c’était trouver le vrai chemin du cœur de ce singulier prêtre. Peut-être y a-t-il plus ? Dans l’âge des passions, ces deux hommes avaient admiré la même femme, subi son influence : elle les avait toujours éclairés, souvent soutenus, parfois combattus, jamais trahis ; elle resta leur amie[1]. Au déclin de la vie, tous deux trouvaient en elle appui, lumières et fidélité ; l’affection et la confiance survivant aux ardeurs de la jeunesse, le culte du même objet se transforme avec les années et subsiste comme un lien qui rapproche, réunit d’anciens rivaux. La réconciliation était complète, alors que le cardinal de Retz écrivait à Commercy le récit de sa vie, échangeant, du fond de sa retraite, lettres, présens, messages affectueux avec cet autre désabusé qui habitait Chantilly.

Mazarin ne tarda pas à se rendre compte de cette disposition si heureusement définie par Retz, et perdit promptement la sécurité que lui avait inspirée un premier élan d’indignation contre l’esprit de révolte. D’ailleurs, Condé ouvrit son cœur à la Reine. Comme il la rencontrait en promenade dans le parc de Saint-Germain, il monta

  1. La Palatine, Anne de Gonzague. (Voir liv. IV, ch. VIII, et plus loin.)