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mouvement n’amènerait à composition ni les magistrats ni les Parisiens. Un châtiment était nécessaire, et la Reine voulant éviter l’effusion du sang, il n’y avait que la famine ; au bout de quinze jours, le parlement et la ville seraient aux pieds du Roi. Il fallait donc avant tout tirer Leurs Majestés de Paris et les conduire à Saint-Germain. Ajoutons que le blocus ayant le caractère d’une opération administrative, Mazarin comptait bien le diriger avec ses intendans et secrétaires, atténuant ainsi la prépondérance du rôle militaire de Condé. Enfin, l’idée de s’enfermer à la Bastille, ou même à l’Arsenal, ne souriait ni à la Régente, ni à son ministre, ni à la cour. Après quelque hésitation, le duc d’Orléans se rallia aux idées du cardinal. Condé se soumit.


III. — REGIFUGIUM (6 JANVIER 1649). — GUERRE DE PARIS.

Le départ du Roi (6 janvier 1649) a été maintes fois raconté, avec les incidens, les convocations mystérieuses, cet air de complot et de fuite, regifugium, le voyage par une nuit glaciale, l’arrivée à Saint-Germain dans le grand palais sans meubles, presque sans fenêtres, et comme la cour souffre et s’amuse tout à la fois de cet établissement improvisé, de ces petites privations ; pour ce monde blasé, c’était presque un divertissement. L’expérience de neuf rudes campagnes laissait M. le Prince assez insensible à ce genre d’émotions. Dès qu’il eut pourvu à la sûreté du Roi, il monta à cheval pour parcourir les positions où il allait établir ses troupes. A son retour, dans la soirée du 11, il fut accueilli d’étranges nouvelles. Sa sœur avait décidément refusé de quitter Paris ; son beau-frère Longueville, son frère Conti, son ami Marsillac, avaient disparu, l’un pour aller soulever la Normandie, l’autre pour rejoindre les insurgés de Paris, le troisième pour retrouver Mme de Longueville. La Reine était atterrée, voyant dans cette défection le premier acte d’un complot dont Condé était l’âme. Quand celui-ci reparut, ce fut un soulagement ; sa colère, trop violente pour être feinte, leva les derniers doutes. On essaya de réduire les proportions de l’incident ; la présence des princes du sang dans les rangs des frondeurs restait un fait grave ; mais aucun des trois déserteurs ne laissait un grand vide dans l’année royale.

Tandis que Mazarin et ses commis multiplient les ordres pour assurer la subsistance des troupes et entraver celle de Paris, Condé se remet à presser l’arrivée des détachemens, en achève la répartition, termine les instructions pour les gardes, les patrouilles. Déjà il avait écrit à Bourges et en Bourgogne pour ne laisser subsister aucune incertitude sur ses intentions et mettre en sûreté