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pain ; et les contrastes étranges, des fêtes, des baptêmes : Mme de Longueville accouchant à l’Hôtel de ville d’un fils que Messieurs de Paris tiennent sur les fonts et qui sera le dernier des Dunois[1].

Mais c’est surtout hors des murs de la capitale que les souffrances étaient intolérables et les désordres inouïs. Pas une route sûre ; les paysans ruinés se réunissaient en bandes, dépouillant, tuant tous ceux qu’ils rencontraient. Le brigandage empruntait mille formes, s’exerçait partout. Gourville raconte fort simplement que, manquant d’argent pour remplir une mission, il arrêta sur le grand chemin un receveur de la taille et s’empara du produit des contributions. Une autre fois, c’est un financier qu’il enlève dans une maison de campagne, enferme à Damvillers et relâche contre paiement de 40,000 livres. Le passage des troupes allemandes était si terrible qu’à leur approche chacun <c retirait dans les places ce qu’il y avait de meilleur[2] ; » ainsi fit M. le Prince à Stenay, Fabert à Sedan. D’Erlach, qu’on n’accusera pas de tendresse, ne put Voir sans indignation les destructions, les cruautés commises par ceux-là mêmes qu’il avait su contenir l’année précédente.

L’autorité de M. le Prince était méconnue : à L’Ile-Adam, à Chantilly, dans les terres de sa mère, malgré le prestige du nom et la présence d’un personnel nombreux, l’épouvante était générale ; les soldats prenaient tout : « Ils ont pillé et volé jusqu’aux tabliers et couvre-chefs des femmes. » — « Qu’on nous tue ! disaient les paysans ; nous aimons mieux mourir des coups que de faim. » Les messagers étaient battus et volés, les communications interrompues ; l’argent manquait même pour les « charités » fondées par la princesse douairière, origine de l’hospice qui porte encore le nom de Condé[3]. Qu’on juge de ce qui se passait ailleurs ! A peine l’armée des pillards s’éloigne-t-elle un moment, celle des collecteurs de taxe reparaît, enlevant ce qui reste au paysan. Nos recueils sont pleins de lettres déchirantes, et les récits de Mme de La Guette font frémir. A tant de maux ajoutez la terreur de l’invasion étrangère. Le bruit se répand que l’Espagnol approche. On se réfugie dans les places. A Chantilly, Dalmas demande une garnison ; déjà l’ordre est donné de couper les ponts de l’Oise à Creil, à Pont-Sainte-Maxence.

Ce ne sont pas seulement des paysans affolés de faim et de misère qui croient voir arriver l’archiduc ; un envoyé de ce prince

  1. Paris d’Orléans, né le 28 janvier 1649, tué au passage du Rhin, 1672.
  2. Mazarin à Faberi, 20 octobre.
  3. Dupuis à Limosin ; Dalmas à Mme la Princesse douairière, 8, 12, 15, 20 janvier. A. C.