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partout aussi la lassitude, l’espoir de mettre un terme à tant de maux. Dans presque toute la France, la nouvelle du traité de Rueil avait été accueillie par une explosion de joie. Condé fut accablé de félicitations. Les parlemens et les gouverneurs de provinces le prenaient pour arbitre de leurs différends. Tout le monde s’adressait à lui, Turenne pour recouvrer son armée, d’Erlach pour la conserver et rétablir Rosen[1], les généraux, les commandans des villes-frontières pour obtenir des renforts, sans parler des solliciteurs de places, moins nombreux qu’aujourd’hui, mais commençant déjà à compter.

Et, de toutes parts, les hommes obscurs que de modestes fonctions mettaient en rapport avec M. le Prince lui envoyaient ce cri unanime du peuple : la paix ! le repos ! C’est le refrain de mainte lettre classée dans les papiers de Condé. Et les esprits se reportaient à cet âge d’or dont le souvenir était entretenu par les récits des vieillards, les dix dernières années du roi Henri, un de ces temps trop courts où le peuple de France a connu le bonheur[2]. Cette aspiration au repos a trouvé sa formule : « Que le Roi revienne à Paris ! » Voilà le gage de paix qu’on attend de Condé.

Rappelé avec instance par Mazarin, il accourt à Compiègne. Pourra-t-il triompher des répugnances de la Reine et de son ministre ? Jusqu’au dernier moment, on en doute. « Le retour de Sa Majesté est enfin annoncé ; mais le cardinal en a une sy grande peur que je ne sçay si cela ne fera point changer de dessein. Les esprits sont fort altérez. Nous attendons avec impatience l’effet de ce retour[3]. »

Enfin, dans la soirée du 18 août, l’événement s’accomplit : le Roi, venant de Senlis, arriva tard à la porte Saint-Denis : il fallut allumer des torches. Condé était dans le carrosse royal, à la portière, à côté de Mazarin ; malgré son courage réel, le cardinal avait besoin d’être rassuré en traversant les rangs pressés de cette foule qui avait tant d’horreur pour sa personne. On descendit au Palais-Royal, où Leurs Majestés reçurent les soumissions de M. de Beaufort et du coadjuteur. Avant de se retirer, Condé salua la Reine, en lui adressant quelques paroles de félicitation. « Monsieur, répondit Anne d’Autriche, le service que vous avez rendu à l’État est si grand

  1. Arrêté en 1647 (t. IV, p. 452-456), Rosen venait d’être mis en liberté et aussitôt rétabli dans ses fonctions de lieutenant-général par d’Erlach, ce qui offensa vivement Turenne.
  2. Voir, dans les mémoires de Marolles, les pages charmantes où il fait le tableau de la vie rustique et du bonheur du peuple au temps du roi Henri.
  3. La Palatine à la reine de Pologne, sa sœur, août 1649. A. C.