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le théâtre. Quiconque sent en soi le talent ou le génie devient orateur, et l’irrésistible attrait des succès de parole empêche de chercher des succès différens. Un siècle plus tôt, la philosophie eût laissé Platon aux Muses, et l’éloquence leur eût abandonné quelques-unes de ses conquêtes. Mais si l’on ne fait plus de vers héroïques; si la tragédie où l’acteur a pris l’importance du poète est mourante et ne revivra qu’après vingt siècles; si la comédie, privée par la loi de l’attrayant plaisir que donnent les allusions politiques et les satires personnelles, languit en attendant Ménandre, on écrit mieux la prose, et, grâce à ceux qui le parlent, le dialecte attique l’emporte sur tous les autres : il devient la langue classique de la Grèce; c’est un honneur qui lui était bien dû.

En ceci, au moins, il n’y a qu’échange entre les neuf sœurs ; ce qu’une perd, l’autre le gagne. L’esprit grec, pour cela, ne baisse pas, bien qu’une corde puissante et chère ait cessé de vibrer. Mais ce qui s’en va sans retour, c’est la foi politique. Athènes, Sparte, ont perdu la croyance en elles-mêmes, qui est la première vertu d’un peuple, quand elle ne va pas jusqu’à une aveugle infatuation. Elles n’ont plus, l’une depuis Ægos-Potamos, l’autre depuis Leuclres et Mantinée, cette confiance, cette juvénile audace qui, tempérée par la raison, surtout quand cette raison s’appelait Périclès, fait accomplir de grandes choses. Jadis, l’intervalle qui séparait le peuple athénien de ses chefs était à peine celui qui sépare deux combattans, l’un au premier rang, l’autre au second ; et à Miltiade, à Cimon, à Aristide, il n’était pas même accordé une place à part pour leurs noms sur les trophées de victoires. Aujourd’hui, les Athéniens ont si petite opinion d’eux-mêmes, que les voici retournés au culte des héros. Pour un devoir accompli, pour un mince exploit de guerre, ils donnent ce qu’ils ne donnaient naguère qu’aux dieux, des statues de marbre ou d’airain, et le sentiment religieux est tombé si bas qu’ils ont dressé des autels et prostitué les honneurs divins à Lysandre, le génie de l’astuce. Bientôt Démade dira: « Athènes n’est plus la jeune guerrière de Marathon; c’est une petite vieille qui hume sa tisane en pantoufles. » Ces mots sont une caricature et non pas un portrait, car Athènes a encore des hommes dont l’histoire conservera les glorieuses figures ; mais ce seront les derniers. Même elle semblait posséder encore un empire. En 361, elle avait rétabli contre Byzance, Chalcédoine et Cyzique, le libre passage, par le Bosphore, des blés de l’Euxin. Dans les îles, elle avait des alliés, et en 357, elle rentrera en possession de Sestos et de la Chersonnèse. Malheureusement, ce sont des apparences de force plutôt que des réalités. Ecoutons une parole d’Isocrate qui, contre l’habitude du méticuleux