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méconnu (novembre). Le cardinal fit grand bruit, n’eut guère de peine à transformer une réclamation assez hautaine en offense impardonnable, et, feignant de ne plus pouvoir défendre l’honneur de sa souveraine contre une omnipotence insolente, engagea la Reine à céder ; c’était lui faire prononcer l’arrêt de M. le Prince.

Et puis la tumultueuse assemblée de la noblesse, agitée de querelles pour les rangs, les brevets, les honneurs du Louvre ! Ici encore, M. le Prince, porte-voix de Mme de Longueville, trouve le moyen de raviver de vieilles haines, de provoquer des inimitiés nouvelles. Chacune de ces petites victoires, ces mariages conclus ou empêchés, ces citadelles distribuées, ces tabourets concédés, les humiliations infligées à la Régente et au ministre, usaient son autorité, armaient ses ennemis, resserraient les mailles du filet qui l’enveloppe. La mine est chargée ; comment mettre le feu à la mèche ?

Le 11 décembre, on tira sur Guy Joly, conseiller au Châtelet, magistrat médiocre, qui, pour acquérir quelque crédit, avait pris en main les intérêts des rentiers de l’Hôtel de ville. Aussitôt, le président Charton se démène, criant qu’on assassinait les amis du peuple, et le fameux La Boulaye parcourt le « palais, » flamberge au vent, suivi d’une trentaine de coquins. On le laissa faire ; personne ne s’émut. Toute la scène était jouée : Joly s’était fait une plaie au bras avec des pierres à fusil ; il le raconte dans ses mémoires. Ce premier coup manqué, la bande de La Boulaye se porta vers le pont Neuf, et le soir fit feu sur le carrosse de M. le Prince. Averti par Mazarin, celui-ci n’était pas dans sa voiture, qu’on avait remplie de laquais ; l’un d’eux fut tué. Les acteurs de cette tragi-comédie appartenaient au coadjuteur ou au duc de Beaufort ; c’est à ceux-ci qu’on s’en prit : « M. le Prince donna dans le panneau ; plus tard il vit clair[1]. »

« Il y a des témoings qui déposent qu’on en voulait à la vie de M. le Prince, » écrivait Mazarin le 19 décembre ; mais qui le savait mieux que lui, puisqu’il avait empêché Condé de retourner à Saint-Maur ? Et il connaissait bien La Boulaye, le frondeur acharné, qui, du commandement des bandes insurgées, vient de passer dans le cabinet d’Ondedei[2], et qui bientôt réclamera sa récompense[3], récompense si méritée que le cardinal mourant recommandera ce

  1. Retz.
  2. Carnets de Mazarin.
  3. Dès le mois d’avril 1650, La Boulaye écrivait à de Lyonne, se vantant « de prôner la pureté des intentions de Son Éminence. » En septembre, il se plaignait d’être oublié, et en novembre : « Bien que je sois de vos serviteurs le plus affectionné, je suis des moins considérables… en attendant les effets de votre justice qui, tels qu’ils puissent être, ne m’empocheront jamais de vous servir. » (A Mazarin.) A. C.