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indépendant que possible de leur domination, à le placer à l’abri de l’instabilité législative, » suivant le mot du juge Marshall. Le chef de l’état devait donc avoir assez de puissance pour résister selon les circonstances à la représentation nationale, et, ce qui étonnera encore davantage, à la nation même.

« Certains hommes regardent comme le premier mérite du pouvoir exécutif sa docilité servile à céder aux courans qui entraînent la législature ou le pays, écrivait Hamilton. Ceux-là n’ont qu’une idée absolument fausse des véritables moyens d’assurer le bonheur public, et du but pour lequel les gouvernemens sont institués. Le principe républicain veut que l’opinion générale et réfléchie de la communauté dicte la conduite des gouvernans, mais il n’exige pas d’eux l’obéissance à toutes les impulsions du sentiment populaire. C’est le devoir de ceux qui détiennent l’autorité de s’opposer aux passions soudaines du peuple, quand celles-ci sont contraires aux intérêts fondamentaux de la société. »

Loin d’être obsédés par la crainte de trop grandir le pouvoir exécutif, les fédéralistes de Philadelphie redoutaient plutôt de le laisser désarmé ou trop faible en face des assemblées souveraines. La plupart d’entre eux auraient désiré faire de la présidence une sorte de monarchie élective et viagère, investie de toutes les prérogatives très importantes qu’exerçait la couronne en Angleterre sous George III. Quelques-uns doutaient même qu’il fût possible de donner à un chef d’état républicain cette vigueur d’action qui paraissait aux meilleurs esprits la condition capitale et le trait distinctif d’un bon système politique. « Si l’on a le droit d’affirmer que la république est incompatible avec un pouvoir exécutif énergique, en ce cas la république est un mauvais gouvernement, disait Hamilton j’car la qualité des gouvernemens se mesure à la force de leur exécutif. »

Qualifiera-t-on de préjugés monarchiques ces opinions des fédéralistes ? Voici le plus éminent de leurs adversaires, le coryphée du parti opposé, Jefferson, qui écrit en 1789 : « Dans nos institutions, le pouvoir exécutif n’est pas le seul, ni peut-être le principal objet de ma méfiance. La tyrannie des assemblées est actuellement et sera pendant de longues années encore le danger le plus redoutable. Celle du pouvoir exécutif viendra à son tour, mais dans un avenir éloigné. » Tocqueville fait justement ressortir l’importance qu’empruntent de telles paroles à la signature « du plus puissant apôtre qu’ait jamais eu la démocratie. »

Ces doctrines, dont l’application étonnait l’Europe libérale, furent adoptées sans difficultés par l’Amérique. Le prestige de l’autorité présidentielle, loin de s’effacer peu à peu comme un dernier