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Cependant une fraction du même parti démocrate dirige de vives attaques contre les prérogatives présidentielles. L’esprit d’indépendance provinciale inspire surtout cette opposition intestine, qui vise moins le président que le défenseur naturel de la suprématie fédérale. Calhoun, l’éloquent adversaire des doctrines de Jackson, n’entend sans doute pas annuler ni affaiblir l’exécutif local, personnifié dans chaque état particulier par le gouverneur. C’est le pouvoir exécutif central, trop fortement organisé selon lui, que l’infatigable champion de la souveraineté des états dénonce comme incompatible avec une république fédérative. Sa pensée inquiète semble déjà envisager le moment où s’imposera la nécessité, soit de rompre l’Union pour conserver la république, soit de sacrifier la république pour sauver l’Union. La terrible crise de la guerre civile, qui provoqua la sécession momentanée, faillit une première fois justifier les prévisions de Calhoun dans le sens le plus conforme, dit-on, à ses préférences. Nul ne saurait prévoir quel serait le dénoûment d’un nouveau conflit.

En déclarant « que le choix deviendrait tôt ou tard inévitable entre la monarchie ou la séparation définitive, » Calhoun posait-il le dilemme de l’avenir ? La nation alors ne s’en émut pas. Désireuse avant tout d’empêcher le déchirement de la patrie commune, elle se serra autour d’André Jackson, son président, dont l’énergie réprima les tentatives de révolte locale. Le pouvoir exécutif grandit encore dans cette épreuve. Il y gagna d’apparaître désormais aux yeux du peuple comme le protecteur indispensable des intérêts collectifs et le garant de l’unité fédérale.

Dans la suite, l’autorité présidentielle eut tour à tour ses phases de défaillance ou de vigueur. Elle emprunte naturellement une part de sa force aux qualités personnelles et au prestige de ceux qui l’exercent. Maintes fois les politiciens trouvèrent habile de faire élire des personnages secondaires, et le congrès en profita pour pousser plus loin ses perpétuels empiètemens. Mais, sauf quelques rares dissidences où se trahissent les rancunes et les mécomptes du parti battu au scrutin, l’opinion publique resta favorable à la cause du chef de l’état national. Si l’on excepte les crises passagères pendant lesquelles l’hostilité contre sa personne s’explique par la violence des passions ou l’importance des intérêts enjeu, le temps cimenta l’alliance du pouvoir exécutif avec les couches profondes de la démocratie.

Contrairement aux républicains d’Europe, dont l’idéal est un gouvernement qui ne gouverne pas, les Américains imposent à leur premier magistrat l’obligation de gouverner. Ils lui recommandent même de faire servir à cet usage, non-seulement ses attributions