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Ils ne sauraient empêcher pourtant que le partage des dépouilles ait toujours été l’instrument essentiel du gouvernement démocratique et républicain, tandis que la stabilité administrative et la hiérarchie sont des combinaisons monarchiques.

Pendant le procès du président Johnson, l’accusateur Thomas Williams critiquait amèrement le « patronage quasi royal » attribué au pouvoir exécutif. L’épithète portait à faux. Quel souverain absolu change ses agens en aussi grand nombre et aussi souvent que le faisait jusqu’ici la république américaine ? Quant au monarque constitutionnel selon les règles britanniques, peut-on sérieusement le comparer au président des États-Unis, surnommé parfois « le sultan du système des dépouilles ? »

Nul n’ignore que le roi ne dispose personnellement d’aucun poste. Le patronage royal se réduit à charger de la formation du cabinet le chef de la majorité parlementaire, lequel est ainsi désigné presque impérativement. Le cabinet lui-même, qui seul exerce le droit de nomination, loin de renouveler en masse les fonctionnaires dès son avènement, remplace à peine une cinquantaine de hauts personnages pour tout le royaume. Bien plus, dans chaque département ministériel, à côté du ministre et du sous-secrétaire d’état politiques, dont le sort est lié à celui de leur parti, se trouve un sous-secrétaire d’état permanent, qui représente la tradition et la hiérarchie administratives. Pourtant, comme le fait observer M. Gladstone, entre les ministères anglais se succédant aux affaires, les dissidences ne sont pas moins profondes qu’entre les diverses présidences américaines.

Cent mille emplois fédéraux, quelque deux cents millions d’honoraires annuels étaient hier encore la rançon régulière du pouvoir présidentiel aux États-Unis. Les élections s’y faisaient ouvertement afin d’obtenir une part de butin. « Pourquoi sommes-nous ici, s’écriait en 1880 M. Flanagan à la Convention électorale de Chicago, si ce n’est pour avoir des places ? » Cet aveu dénué d’artifice explique le mécanisme de la démocratie organisée en gouvernement de combat. Politiciens sans fonctions contre politiciens nantis, the outs against the ins[1]. Une réforme partielle des abus administratifs n’amènerait donc pas le revival politique tant promis. A quelles conditions pourrait-on l’espérer un jour ? La question revient à demander comment la république s’y prendrait pour ne plus être la revanche d’un parti sur l’autre.

Les obligations étroites du président envers ceux qui l’ont élu font à la fois sa force et sa faiblesse. Marche-t-il d’accord avec eux,

  1. Littéralement : les dehors contre les dedans.