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congrès se prononcent en faveur de la loi frappée de veto, il est naturel, au contraire, qu’une majorité aussi nombreuse l’emporte et que sa volonté soit immédiatement obéie.

Hamilton avait proposé que le président des États-Unis possédât le droit de veto absolu. La plupart de ses collègues, mieux inspirés, n’accordèrent que le veto suspensif. Cette restriction apparente de pouvoir laisse en réalité plus de latitude à la prérogative présidentielle, suivant la juste remarque des commentateurs.

Le veto absolu, tel qu’il appartient à la couronne dans la monarchie britannique, est devenu inutile à force d’être redoutable. « Les bills rejetés par le roi d’Angleterre, dit Curtis, sont définitivement écartés. Ces conséquences irrévocables du veto royal l’ont fait tomber en désuétude depuis le règne de Guillaume III. » Les Américains prétendent donner au président de leur république, non pas une armure de parade, mais un moyen effectif de défense. Ils préfèrent donc le veto suspensif, autrement pratique que le veto absolu, et presque aussi puissant par le fait, sous des dehors plus modestes.

Aux États-Unis, en effet, la suspension d’un bill équivaut d’ordinaire à son rejet. Pour que les lois deviennent définitives malgré le veto présidentiel, il ne faut rien moins qu’une seconde décision, prise aux deux tiers des suffrages dans chacune des deux chambres du congrès. Pour que le veto triomphe, le tiers des voix dans une seule chambre, soit le sixième de la représentation nationale, suffit. Le congrès fédéral américain compte au total 401 membres, répartis inégalement : 325 députés et 76 sénateurs. La majorité législative, qui a voté primitivement la loi, ne remportera la victoire décisive sur le veto qu’à la condition de réunir au scrutin final 269 suffrages parlementaires, 217 à la chambre, et 52 au sénat. Par contre, l’exécutif aura gain de cause avec l’unique appui, soit de 109 suffrages des représentans, soit même seulement de 26 voix sénatoriales[1].

Il est très rare que le président ne dispose pas d’un nombre de voix aussi minime dans l’une ou l’autre assemblée. Les conditions de la lutte sont donc tout à son avantage. Le concours presque certain d’une faible minorité de députés ou de sénateurs lui permet de faire échec à la majorité du congrès et d’empêcher l’adoption des lois. C’est à ce titre indirect qu’il possède une importante part de pouvoir législatif.

Ces remarques s’appliquent également à l’exécutif des états particuliers et des communes, quand « la règle des deux tiers » ou

  1. Dans ce dernier cas (26 voix sur 401), l’appui du seizième environ de la représentation totale du pays suffit pour assurer la victoire du président.