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est plus grande qu’ailleurs, c’est que la France possède des ressources bien supérieures, de grandes usines et de nombreuses manufactures, un capital accumulé et placé au dehors ; c’est que la moitié de sa population retire de ces sources diverses un revenu indépendant de celui que produit le sol. Si, en Angleterre, cette densité, qui était de 250 en 1831, s’est élevée à 400 en 1871, pour être aujourd’hui de 450, atteignant ainsi un chiffre dont on ne saurait trouver l’équivalent que dans la riche vallée du Gange et dans certaines provinces de la Chine, c’est que l’Angleterre est la plus énorme usine qu’il y ait au monde ; c’est qu’elle possède la plus formidable accumulation de machines et de capitaux, qu’un quart seulement de sa population attend sa subsistance du sol, et que les trois autres quarts vivent du commerce, de l’industrie, de la navigation ou des revenus provenant de l’épargne des générations précédentes.

Le loyer annuel du sol cultivé en Angleterre est évalué à 50 millions de livres sterling. Ce n’est que le vingtième du revenu total de la nation, et la culture de ce sol pourvoit, en outre, d’après les calculs les plus récens, à la subsistance de 4,900,000 habitans. Si donc l’Angleterre, avec une terre plus fertile que celle de l’Irlande, d’une superficie double, disposant de capitaux considérables, d’un outillage agricole perfectionné, ne parvient à en tirer que la subsistance d’environ 5 millions d’habitans, propriétaires, fermiers ou cultivateurs, il est facile de concevoir l’état de misère de 5 millions d’Irlandais répartis sur une surface moitié moindre et dépendant presque exclusivement de la culture de la terre et de son rendement. L’Irlande possède 1 million d’habitans dont elle n’a que faire et qu’elle ne peut nourrir. L’excessive pauvreté des habitans est un obstacle insurmontable au développement de l’industrie ; il faut déjà un certain degré de prospérité individuelle pour qu’un peuple se crée de nouvelles ressources et tire du sol qu’il occupe tout ce qu’il peut rendre.

Une répartition des terres, autre que celle qui existe aujourd’hui, ne modifierait en rien les termes du problème parce qu’elle n’ajouterait presque rien à la surface cultivable. La réduction ou l’abolition même du prix de fermage n’accroîtrait pas la production agricole du pays ; elle transférerait aux uns ce qu’elle enlèverait aux autres, mais le total à répartir entre tous resterait le même. Certains utopistes n’hésitent pas à voir dans cette mesure de spoliation une mesure de salut public. A les entendre, l’Irlande bénéficierait ainsi des sommes qui vont, disent-ils, accroître les revenus des propriétaires absens, lesquels les dépensent hors du pays. Ils ne tiennent pas compte de ce fait que la majeure partie du prix des fermages est affectée, dans le pays même, aux salaires des régisseurs et des