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économies, et les prodigues à faire de même, sous le spécieux prétexte qu’il emploierait mieux leur argent qu’ils ne le savaient faire. Elisabeth taxait ses sujets à sa guise et, quand elle avait plus d’argent qu’il n’était nécessaire, elle rendait gracieusement aux détenteurs primitifs ce qu’elle leur avait pris, mais à titre de dépôt dont ils étaient tenus de lui servir un bon intérêt, tout en tenant le capital à sa disposition.

Les prédécesseurs des Stuarts avaient épuisé, semble-t-il, toutes les combinaisons possibles pour faire passer l’argent des mains de leurs sujets dans les leurs ; aussi Charles Ier paya-t-il cher ses malencontreux essais pour s’en procurer, ce qui n’empêcha pas Charles II de recourir au moyen original de mettre la clé sous la porte du trésor public, après en avoir transféré le contenu dans ses coffres. Il appelait cela : inaugurer le crédit royal. Jacques II, qui manquait d’imagination, eût volontiers suivi son exemple ; mais ses conseillers se méfiaient, gardèrent la clé, appelèrent le prince d’Orange, qui l’envoya méditer à Saint-Germain sur l’ingratitude de ses sujets et les difficultés qu’un souverain rencontrait déjà, à la fin du XVIIe siècle, pour se procurer de l’argent.

Guillaume III, instruit par l’expérience, imbu des idées nouvelles, inventa et créa la National Debt, que ses contemporains qualifièrent irrévérencieusement de National Nuisance. Cette première combinaison en appelait d’autres. L’idée du crédit public placé sous la sauvegarde de l’état commençait à naître, aussi bien en Angleterre que dans le reste de l’Europe. La loi et la règle se substituaient au bon plaisir en ce qui concernait les dépenses de l’état ; elles n’allaient pas tarder à s’y substituer également en ce qui concernait ses recettes. Un nouvel état de choses naissait : l’impôt brutal, mal équilibré et mal assis, qui prélève jusqu’au quart du revenu d’un particulier[1], mais enfin l’impôt discuté et voté. Symptômes des temps, on ne tolère plus qu’un grand seigneur aille remplir ses poches vides au trésor public ; le duc de Leeds est mis en accusation pour y avoir pris 5,500 livres sterling dont il avait cependant, dit-il, un besoin pressant. On trouve mauvais que les gardiens du trésor accusent dans les caisses un déficit de 25 millions de livres sterling sur 46, et prétendent s’exonérer en alléguant que cette somme énorme a été employée à acheter des votes.

Une fois sur cette pente, on va loin. Las d’avoir été si longtemps pillé, on s’enquiert où a bien pu passer l’argent, on s’étonne de l’énormité de certaines fortunes. Celle de Warren Hastings fait scandale. Son nom personnifie tous les abus contre lesquels on

  1. Discours de sir Ch. Sadley au parlement (1690).