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mit d’en apprécier l’élégance et la ravissante couleur. À l’extrémité de la vallée, auprès des chalets du couloir, nous notons phaca astragalina, gentiana punctata, erigeron Villarsii, poa cenisia, et surtout alopecurus Gerardi. Cette région déserte, couverte d’éboulis de rochers au milieu desquels se balancent les nombreuses panicules de l’avena sempervirens et du carex ferruginea, aboutit au col du Petit-Mont-Cenis, par lequel on pénètre dans la vallée de la Villette et de là sur les bords de l’Arc, au village de Bramant. Son extrémité supérieure, profondément encaissée, touche à la combe d’Ambin, patrie du brassica Richeri, autre rareté des Hautes-Alpes. Nous aurions voulu pousser jusque-là ; mais le jour baissait et rendait irréalisable une conquête qui nous était chère. Sur les bords d’un sentier rocailleux, nous récoltons primula pedemontana et lychnis flos Jovis, les dernières trouvailles de la journée.

Notre rentrée à l’hospice, quoique un peu tardive, combla de joie notre excellent prieur, qui commençait à concevoir des craintes à notre sujet. La soirée se passa gaîment ; les impressions de la journée et les projets du lendemain firent tous les frais de la conversation. Je tenais beaucoup à faire l’ascension du Lac blanc et à profiter du beau temps que nous avions. J’expose mon projet ; le général, malgré son bon vouloir, décline toute participation à cette course. L’arrivée dans la soirée du docteur Bellot, qui veut bien consentir à diriger l’expédition, tranche la question. Le prieur est entraîné ; il est des nôtres.

Le lendemain, par un ciel propice, la caravane, composée de sept personnes, se mit en marche à quatre heures du matin, et prit sa direction par la vallée du Petit-Mont-Cenis. L’ascension se fit sans aucunes difficultés, tantôt au milieu des bois, tantôt sur des pentes gazonnées ou rocailleuses. Sur les dix heures, nous étions au sommet de rochers nus, sur les bords d’une espèce d’entonnoir au fond duquel apparaît un petit lac remarquable par la blancheur de ses eaux, qui lui a valu le nom d’Eau blanche ou de Lac blanc. L’effet de cette coloration est des plus saisissans et contraste d’une manière frappante avec cette région âpre et sauvage. Du milieu de cette scène désolée surgit une roche de nature talqueuse, sur laquelle repose un glacier. Les eaux de fusion qui s’en échappent la détrempent et la réduisent en une poudre impalpable blanchâtre. Elles alimentent le petit lac, dans lequel elles viennent se jeter, et lui communiquent cette couleur dont elles sont imprégnées.

De petites plantes alpines sont le seul attrait de ces solitudes perdues. Par leur fraîcheur, la vivacité de leurs couleurs, elles ont le don de vous captiver et de vous retenir par le charme irrésistible qui leur est propre. Je citerai simplement parmi celles qui m’ont