Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/944

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sel déposé par les vents que son poil de loup de mer est blanchi et raidi. C’est la brise qui a fortifié ses cordes vocales et leur a donné ce beau timbre. Quand il remue, quand il parle, on reçoit par bouffées dans la salle une bonne senteur de marée ! Dans tout cela point de simagrée, point d’artifice : en vérité, ce vieillard a l’âme d’un marin, l’âme de la mer. Où donc aurait-il pris cette bonhomie et cette puissance, tant de simplicité alliée à tant de grandeur ? Il met dans l’idylle, sans la troubler aucunement, une figure d’épopée.

Le public de la Comédie-Française avait mangé son pain bis ou son pain blanc le premier ; il a été surpris ensuite par le goût d’un singulier petit gâteau qu’on avait demandé pour lui à M. Théodore de Banville… Un cri d’admiration était parti, cet hiver, du Théâtre-Libre : « Un chef-d’œuvre nous est né, un mignon chef-d’œuvre ! » On s’est empressé, rue Richelieu, d’adopter cette merveille : peu s’en faut, une fois là, qu’elle n’ait causé un scandale.

Qu’est-ce donc que le Baiser ? Vous saurez que Pierrot… — Pierrot, à la Comédie-Française ! .. Un paysan, alors ? Un cousin du « Pierrot » de Don Juan ? .. — Non pas ! Le Pierrot de la comédie italienne. Pourquoi pas, en somme ? Attendez pour vous fâcher. Ce blanc personnage est à la mode. Assez d’esprits sont fatigués du mélodrame, du vaudeville et de tout l’appareil scénique du XIXe siècle… N’ai-je pas vu, la semaine dernière, au Petit-Théâtre de la rue Vivienne, des raffinés applaudir le Gardien vigilant, de Cervantes, et les Oiseaux, d’Aristophane, joués par des marionnettes ? .. Il y a tout juste un mois, le Cercle Funambulesque s’est fondé, pour la gloire de la pantomime. Dans un joli prologue (le Réveil), M. Jacques Normand a rêvé tout haut d’un retour


A l’art naïf et pur, souvent même enfantin…
On voudrait moins que l’homme et plus que le pantin !
Lassé de la parole et de la phrase humaine,

il a dit les douceurs d’un pays


Où, pour parler d’amour, il suffit que les yeux
Brillent, et que la main, sur le cœur appuyée,
Ait un frémissement d’hirondelle effrayée.


A la tête de la troupe, il n’a pas manqué de mettre Pierrot,


Ce fin rayon de lune à l’apparence d’homme.


Va donc pour Pierrot, même à la Comédie-Française !

Aussi bien, il est doué de la parole, ce Pierrot-ci, pour converser avec une fée : ni leur aventure ni leur causerie, au moins réduite à