Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est, paraît-il, ces jeunes bélitses (novices). Le mariage ne leur est pas interdit, mais elles ne peuvent, dit-on, se marier « qu’à la dérobée. » Aussi, derrière les murs des skytes se noue-t-il parfois des romans. A en croire les profanes, ils abritent des intrigues peu édifiantes. Les obitèli du raskol cherchent avant tout à éviter le scandale. Les jeunes brebis égarées y trouvent un asile discret, et les enfans du péché y sont élevés comme orphelins.

La métropole religieuse des raskolniks, popovtsy ou sans-prêtres, est aujourd’hui Moscou. Les skytes, relégués aux extrémités de l’empire ou dispersés dans les provinces, ne pouvaient toujours suffire à la direction des affaires du raskol. Il se produisait souvent parmi eux des divisions, des rivalités qui séparaient les vieux-croyans de rite voisin en groupes divers. Aussi les deux branches du schisme cherchèrent-elles à se créer un centre, au cœur même de l’empire, à Moscou. Nous avons raconté ici même comment elles y parvinrent toutes deux en même temps, et cela, chose inespérée, avec l’aveu du pouvoir. Lors de la grande peste de Moscou, sous Catherine II, les raskolniks, qui de tout temps se sont distingués par leur esprit d’initiative, offrirent d’établir à leurs frais un cimetière et un hôpital pour leurs coreligionnaires. Le gouvernement de Catherine II était trop « éclairé » pour leur en refuser l’autorisation; elle leur fut accordée en 1771, et, presque la même année, les bezpopovtsy, à Préobrajenski, les popovtsy, à Rogojski, fondèrent les deux élablissemens qui, depuis, sont restés les foyers religieux du raskol. Sous le voile de la charité, la création des deux cimetières fut, pour le schisme, un nouveau mode de constitution. C’est ainsi que, durant l’ère des persécutions, les chrétiens du me siècle avaient obtenu de Rome encore païenne une sorte de reconnaissance officielle, à titre de « collèges funéraires[1]. »

Sous l’empereur Nicolas, à l’époque même où le raskol était de nouveau en butte aux rigueurs du gouvernement impérial, l’aile droite du schisme, les popovtsy sont, grâce à la connivence de l’étranger, parvenus à constituer une hiérarchie indépendante, dont le centre a été placé en Autriche, à Belokrinitsa, dans la Bukovine. Mettre à l’étranger la tête de leur église, c’était la rendre invulnérable. Ces popovtsy qui, pour célébrer les vieux rites, étaient jadis obligés de recourir à des prêtres transfuges de l’église d’état, ont aujourd’hui leurs évêques et leurs popes. Tous, il est vrai, n’ont pas voulu reconnaître la nouvelle hiérarchie, et ses partisans mêmes ont été divisés en deux camps, presque en deux sectes, par la publication d’une encyclique ou épître-circulaire (okronjnoé poslanié)

  1. Voyez les travaux de M. de Rossi : Roma sotterranea, t. I.