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memens, pour les fortifications de la frontière. Il va sans dire que déclarations et vote sont accompagnés de l’assurance invariable qu’on ne songe qu’à se défendre, que si on s’arme, c’est uniquement pour n’être pas pris au dépourvu dans « la persistante incertitude de la situation de l’Europe, » parce que tout le monde s’arme. C’est au mieux ; il est même vraisemblable que l’Autriche est sincère dans ses vœux pour le repos de l’Europe. Seulement, on en conviendra, c’est là une situation de plus en plus étrange. La triple alliance n’est qu’une ligue défensive ; l’Autriche ne veut que la paix ; l’Allemagne est le plus pacifique des empires, c’est bien connu ! La Russie, de son côté, proteste qu’elle ne veut que rester tranquille, et la France, plus que les autres, a besoin de la paix. En même temps, tout le monde est sous les armes ; au besoin, les défis, les paroles amères, les incidens irritans éclatent de temps à autre. Et voilà sûrement la paix de l’Europe bien garantie !

Qui donc aujourd’hui ne se croit pas obligé de s’armer en effet pour toutes les guerres qu’on prédit, que la politique de l’ambition et de la force rendra peut-être inévitables ? C’est une sorte d’épidémie envahissante, c’est l’influence du jour. L’Angleterre elle-même, si accoutumée qu’elle soit à se dégager le plus possible des charges militaires, l’Angleterre à son tour entre dans le mouvement ; elle se sent prise d’inquiétude, et c’est le lieutenant du commandant en chef de l’armée, du duc de Cambridge, c’est lord Wolseley qui a sonné le tocsin d’alarme il y a quelque temps déjà, en s’élevant contre la négligence des pouvoirs publics, contre le gouvernement stérile des partis, contre les ministères qui font des économies aux dépens de la défense nationale. Depuis, les journaux ont suivi le mouvement ; ils ont publié des articles retentissans qui émanaient, disaient-ils, de « la plus haute autorité militaire, » que le duc de Cambridge s’est hâté de désavouer, et qui n’étaient en définitive que le développement des opinions pessimistes de lord Wolseley. Pendant quelques jours, il a été presque avéré que la patrie britannique était en danger, que l’armée anglaise n’existait pas ou qu’elle n’avait pas d’armes, que la flotte elle-même manquait de canons, que l’Angleterre était hors d’état de repousser une invasion. C’est un vieux thème qui date de trente ans, de l’organisation des volontaires par lord Palmerston, et que lord Wolseley a repris pour la circonstance, au risque de créer une panique d’opinion. Le chef du gouvernement, lord Salisbury, il est vrai, s’est fâché cette fois et a vertement semoncé, en pleine chambre des pairs, l’indiscret révélateur des faiblesses vraies ou supposées de l’Angleterre. Il a protesté avec une sévérité hautaine contre les procédés d’un homme que sa position officielle dans l’armée et ses devoirs militaires obligeaient à plus de réserve, si bien qu’on a cru un moment que lord Wolseley allait donner sa démission. Il n’en a rien été. Lord Wolseley est allé