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certains sculpteurs passionnés, comme M. Falguière, par exemple, éclate avec une vivacité et une chaleur saisissantes.

Si les Grecs n’avaient pas inventé le mot en même temps que la chose, et dit les premiers de leurs grands sculpteurs qu’ils faisaient respirer la matière, on eût trouvé l’expression pour caractériser le talent de M. Falguière, l’un des plus hardis et des plus heureux tailleurs de marbre qu’on ait jamais vus. On avait déjà rencontré autrefois en plâtre cette Nymphe chasseresse, une belle fille, très peu déesse, de forte race, de type commun, aux formes plus riches que délicates, lancée au galop et décochant une flèche, tout le corps en avant et formant presque angle droit avec la jambe posée sur le sol. Ce mouvement qui, vu de certains côtés, ne laisse pas l’œil sans inquiétude au sujet de l’équilibre de la figure, avait déjà paru téméraire pour une figure destinée au bronze. M. Falguière n’a pas craint pourtant de lui faire affronter les périls du marbre. Ce tour de force, en tant que tour de force, nous intéresserait médiocrement, car il pourrait être d’un fâcheux exemple, venant d’un tel artiste, et le marbre a d’assez belles choses à dire dans le mode calme et puissant qui est le sien, sans qu’on s’efforce de lui en faire dire d’étranges dans le mode agité qui ne lui convient pas. Cependant, il faut le reconnaître, quelles que soient les appréhensions que suggère ce corps solide prêt à pivoter sur son frêle support, si peu séduisante que soit même, de certains côtés, cette disposition angulaire des jambes et du torse, l’on est si surpris par cette palpitation extraordinairement vivante du marbre, l’on en est même si charmé, qu’on se sent prêt de tout pardonner à cette jolie gaillarde, et son attitude risquée, et son embonpoint peu virginal, et son minois faubourien, tant est puissante et communicative cette expression sincère et chaude de la vie, même de la vie purement extérieure et sensuelle, lorsqu’un artiste est parvenu à la répandre ainsi dans son œuvre ! On doit constater, d’ailleurs, que, dans cette transformation, la Nymphe plébéienne a sensiblement gagné, même au point de vue des formes, et que sa beauté, sans pouvoir entrer en lutte avec la beauté aristocratique de sa maîtresse Diane, s’est pourtant quelque peu allégée.

Il est encore d’autres beaux marbres où l’on saisit, comme dans la Nymphe, tout le plaisir qu’a éprouvé le sculpteur à faire lentement sortir du néant, à caresser longuement des formes choisies. Telle est la Danse de M. Delaplanche, figure alerte et gracieuse que nous avons décrite en 1886, lors de sa première apparition ; telles sont les deux figures allégoriques de M. Barrias pour le grand escalier des fêtes de l’Hôtel de ville, le Chant et la Musique. Cette dernière est représentée par une svelte et robuste jeune femme jouant du