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Lombardie, il visite la fameuse Chartreuse de Pavie, dont la construction et l’embellissement ont été l’œuvre favorite des Visconti et des Sforza. La façade de l’église, cette merveille du décor architectural, est alors à peu près terminée. Érasme parle quelque part du monument, mais ce n’est pas l’admiration qui l’emporte dans ses souvenirs : « Quand je suis allé dans le Milanais, dit-il, j’ai vu un monastère de chartreux, non loin de Pavie ; il y a une église qui, au dedans et au dehors et du haut en bas, est entièrement construite-de marbre blanc ; tout ce qu’elle contient ou à peu près, autels, colonnes, tombeaux, est aussi de marbre. A quoi bon dépenser tant d’argent pour faire chanter dans un temple de marbre quelques moines solitaires ? Pour eux-mêmes, cette richesse est un ennui, car ils sont importunés par une foule d’étrangers qui viennent chez eux uniquement pour l’église et pour le marbre. » Combien d’observations du même genre va faire, dans la suite de son voyage, cet ami trop exclusif de la simplicité évangélique ! Érasme, qui comprendra si bien certains côtés du génie italien, restera indifférent ou hostile à des manifestations du même génie que nous admirons aujourd’hui, le luxe, les arts, l’éblouissante vie des cours et la magnificence profane mise au service de l’idée religieuse.

Nos étrangers ont mal choisi leur temps pour voyager dans la Haute Italie. Une guerre interminable désole ce malheureux pays. En ce moment même, les troupes de Louis XII n’ont pas repassé les Alpes, et celles de Jules II sont occupées à reconquérir les places détachées du domaine de l’église. Les Bolonais sont des sujets révoltés ; l’armée du saint-siège marche contre eux, et le premier séjour d’Érasme à Bologne est interrompu brusquement par l’arrivée de l’ennemi. Il doit chercher un refuge au-delà de l’Apennin, et choisit Florence, alors paisible au milieu de l’Italie en armes.

C’est du moins une belle année, que l’an 1506, pour venir à Florence. L’ardente campagne de Savonarole n’a point arrêté l’œuvre de la renaissance. La tranquillité dont jouit l’état florentin attire de tous côtés les artistes : Léonard, Michel-Ange, Raphaël, fra Bartolommeo, André del Sarto, ont en même temps leurs ateliers ouverts. Érasme, nous l’avons dit, n’est pas préparé à leur rendre visite, mais peut-être entrera-t-il dans les cercles littéraires. Aux Orti Oricellarii, un homme d’esprit et de savoir, l’historien Bernard Ruccellai, a recueilli les restes des collections des Médicis ; les réunions savantes qu’il y préside rappellent celles qui se tenaient, quelques années auparavant, autour de Laurent le Magnifique ; tous les lettrés de la ville s’y rencontrent, et, parmi eux, le secrétaire de la république, Nicolas Machiavel. Érasme, qui