Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de belles harangues latines. On aurait voulu les retenir. Ferrare était un centre littéraire important : une gracieuse duchesse, amie des lettres, y régnait par son esprit et par sa beauté ; c’était madonna Lucrezia, « la divine Borgia, » auprès de qui Arioste composait l’Orlando. Mais Érasme ne pouvait s’arrêter longtemps dans une ville si voisine du théâtre de la guerre. Il poursuivit sa route jusqu’à Sienne, où il séjourna au commencement de l’an 1509. Nous le trouvons enfin à Rome, où il demeura, en trois voyages distincts, la durée de plusieurs semaines.

Érasme parle souvent de Rome dans ses livres et dans ses lettres ; à chaque instant une allusion ou une anecdote se glisse sous sa plume, cum essem Romæ ! Disons tout d’abord qu’il a bien vu Rome, et qu’il a employé admirablement le temps de son séjour. Il a observé les hommes et les choses d’un œil rapide et intelligent, les hommes surtout, qui l’intéressaient tout particulièrement dans la capitale du christianisme. Il fut introduit, dès son arrivée, dans la monde de la curie, et il apprécia bien vite les charmes de cette société romaine de la renaissance, l’une des plus cultivées et des plus ouvertes aux choses de l’esprit qui se soient jamais rencontrées. L’aimable Cartéromachos lui fit connaître tous ses amis, et, entre tous, Egidio de Viterbe, alors général des Augustins, et Tommaso Inghirami. Celui-ci était affable, enjoué, instruit, très occupé de peinture et de poésie, connu des artistes et des philologues, facilitant aux uns le placement de leurs tableaux, aux autres leurs recherches dans les manuscrits : c’était le modèle le plus accompli du prélat romain du grand siècle. Ses contemporains, charmés de ses sermons d’humaniste, l’appelaient « le Cicéron de leur temps ; » mais l’éloquence d’Inghirami a péri avec lui, et, si son nom reste immortel, il le doit seulement au portrait que peignit son ami Raphaël, et qui est un des chefs-d’œuvre du palais Pitti. Érasme le vit souvent, et usa de son obligeance pour visiter le Vatican, dont il était bibliothécaire. Une tradition veut qu’Inghirami ait conduit Érasme dans l’atelier de Raphaël. Il faut se méfier des légendes, mais celle-ci a quelque vraisemblance. Bien que l’esprit de l’art italien lui ait échappé, Érasme n’était point tout à fait étranger aux œuvres du pinceau ; il eut du goût pour Holbein et pour durer ; il a pu s’intéresser aux travaux du jeune peintre, déjà célèbre, que le pape venait d’appeler auprès de lui et qui commençait à rêver aux Stanze.

Érasme est présenté partout, veut tout voir, tout visiter. D’abord les bibliothèques, que renferment en si grand nombre les couvens et les palais, et qui font à ses yeux un des grands charmes, une des gloires particulières de Rome. Puis le Vatican, où, par tant d’amis, il a ses entrées à toute heure. On l’y fait assister à des