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dans l’histoire de la littérature et de l’art, les disputes de mots ou les querelles d’écoles ne sont point du tout vaines, et encore moins passagères. Il a très bien fait voir que les prétendues variations du goût et de la critique, pour être assez nombreuses, ne le sont point autant qu’on l'a bien voulu dire, ni surtout aussi considérables. Je crains seulement, pour lui, qu’auprès de quelques lecteurs l’affectation soutenue de sa manière d’écrire ne lui enlève le bénéfice de ce qu’il a pensé de meilleur. Il est vrai qu’en revanche, auprès d’une simple jeunesse


Sentant encor le fait dont elle fut nourrie,


elle lui donnera un air de profondeur.

Mais j’arrive à l’objet de son livre, et à cette « critique scientifique » dont il a voulu nous tracer l’esquisse ou le programme. Après M. Taine et Sainte-Beuve aussi, — qu’il traite cependant assez mal, et dont on dirait, en passant, qu’il ne connaît pas le Port-Royal, — M. Hennequin demande donc que, dans les œuvres et sous les œuvres on cherche l’homme. Oserai-je insinuer ici que Buffon ou Pascal l’avaient demandé avant eux ? Mais ils n’en avaient pas vu, ou, s’ils les avaient vues, ils n’en avaient pas tiré les conséquences, qui seraient infinies, nous dit-on, et de nature au besoin à renouveler l’histoire. De toutes les œuvres des hommes, en effet, les œuvres d’art ne sont-elles pas les plus significatives, celles dont l’auteur s’y est mis le plus complètement lui-même, celles dont le témoignage, en même temps que le plus durable, est aussi le plus véridique ? Et les artistes, à leur tour, les grands poètes ou les grands peintres, qui sont-ils, sinon les plus originaux d’entre les hommes, « les plus géniaux, » dit M. Hennequin ; et la mesure, par conséquent, si l’on peut ainsi dire, du pouvoir, de la profondeur ou de l’étendue de l’intelligence humaine ? Et leurs admirateurs enfin, ceux qui les ont applaudis de leur vivant, ceux qui les aiment dans la mort, ceux qui se reconnaissent et qui se complaisent en eux, ceux-là, la foule anonyme et obscure, ne nous apprennent-ils point, sans le savoir, par la seule nature de leurs admirations et de leurs sympathies, quels ils furent eux-mêmes, quels autrefois leurs goûts, quelle même leur vie ? De telle sorte que, depuis six ou sept mille ans qu’il y a des hommes qui écrivent ou qui peignent, d’autres qui sculptent ou qui bâtissent, d’autres qui chantent, nous avons sous la main, dans la seule histoire de la littérature et de Part : — l’histoire intime d’abord, ou la confession de l’humanité ; — son histoire naturelle ensuite : la diversité de ses espèces, dans ces espèces la diversité des familles d’esprits qui les composent, dans ces familles la diversité des individus qui évoluent autour du type commun ; —