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producteur. » C’est ici qu’il se sépare, après l’avoir jusqu’alors assez fidèlement suivi, de l’auteur de l’Histoire de la littérature anglaise, et qu’il discute le degré d’influence qu’exercent sur la production de l’œuvre d’art la « race » et le « milieu. » La tâche en était sans doute assez facile, n’y ayant guère de critique, depuis déjà plus de vingt-cinq ans, qui n’ait dû s’expliquer sur la méthode ou sur l’œuvre de M. Taine, et qui, tout en s’efforçant de rendre justice à l’un des grands écrivains de ce siècle, n’ait apporté, contre ce que ses théories ont de trop systématique, vingt argumens pour un. Mais en se les appropriant, M. Emile Hennequin les a renouvelés. Avec une grande abondance de preuves ou d’exemples, il a très bien montré que si quelques artistes ont subi l’influence du milieu dans lequel ils ont vécu, d’autres y ont échappé, ce qui équivaut à dire que cette influence, n’ayant rien de fixe et de constant, n’a rien non plus de vraiment scientifique. « Euripide et Aristophane sont du même temps, comme Lucrèce et Cicéron, comme l’Arioste et Le Tasse, — ceci n’est pas tout à fait exact, le Roland étant de 1516 et la Jérusalem de 1575, — comme Cervantes et Lope de Vega, comme Goethe et Schiller. » Mais on peut aller plus loin, et M. Hennequin l’a encore bien vu. « On pourrait, dit-il, aisément montrer que l’influence des circonstances ambiantes, notable, mais non absolue, au début des littératures et des sociétés, va décroissant à mesure que celles-ci se développent, et devient presque nulle à leur épanouissement. » Il me semble qu’il a raison ; que les littératures comme les sociétés, à mesure qu’elles se développent, — et quoique cela paraisse d’abord contradictoire, — se fixent ; que, d’ailleurs, l’objet même de la civilisation est de soustraire à l’empire aveugle de la nature tout ce que l’intelligence et la volonté lui peuvent enlever. J’aurais seulement ajouté, puisque l’on veut aujourd’hui partout du « scientifique, » sinon de la science, qu’autant la théorie de l’influence des milieux était jadis conforme ou analogue à l’histoire naturelle de Geoffroy Saint-Hilaire et de Cuvier, autant pour le moment les théories qui mettent dans la plasticité des espèces le principe de leur évolution sont conformes à l’histoire naturelle de Darwin et d’Hæckel. Je ne dis rien de la « race » ou de « l’hérédité : » physiologiquement, la question de l’hérédité est Tune des plus obscures, des plus embrouillées qu’il y ait et des plus éloignées d’une solution prochaine. Mais, historiquement, et après six mille ans de migrations, d’invasions, de guerres, et d’échanges de sang, la « race » n’est qu’une entité métaphysique, un mot sous lequel il n’y a rien de réel, et, moins que tout le reste, ce que l’on a voulu le plus souvent lui faire exprimer : la communauté d’origine, d’organisation physique, et d’aptitude intellectuelle.

D’où vient donc alors la dépendance, ou, pour mieux dire, la connexité que l’on a cru quelquefois reconnaître, entre les œuvres d’art, une