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magne, qui s’éteignait comblé de jours et de succès, arrivé au dernier terme de la vie sans avoir vu le déclin de sa puissance. Aujourd’hui, c’est son fils, l’empereur Frédéric III, qui vient à son tour de descendre au tombeau, d’achever de vivre après un règne mélancolique de trois mois, et ce règne même, si court qu’il ait été, est tout un drame : c’est la lutte de l’énergie morale, de la volonté d’un homme contre la mort, épiant toujours sa proie et sûre d’avoir le dernier mot. La mort, en effet, est restée victorieuse et a eu le dernier mot. Elle a pu accorder par instans quelque répit comme pour tromper le monde, comme pour laisser une illusion à celui-là même qui était déjà marqué pour une fin prématurée ; elle n’a pas tardé à ressaisir sa victime et à interrompre brutalement un règne à peine commencé.

Au moment où le vieil empereur Guillaume disparaissait vaincu par l’âge, on doutait que le prince moribond qui se traînait sur les bords de la Méditerranée pût recueillir la couronne, et si on ne lui avait pas demandé absolument une abdication anticipée qui devait coûter à son orgueil, on l’avait tout au moins désirée. Celui dont on aurait désiré l’abdication, qu’on croyait toujours près de s’éteindre, trouvait cependant en lui-même assez de force pour se rendre à Berlin au moment de la mort de son père, pour prendre possession de la couronne. Il a été l’empereur Frédéric III ! Il a duré assez pour donner à un règne éphémère une sorte d’originalité indéfinissable, pour mettre son esprit dans ses premières proclamations, dans une série d’actes et de rescrits qui auraient pu être un programme de gouvernement, qui ne sont plus aujourd’hui qu’un testament. C’était, sans aucun doute, un prince bien intentionné, et si c’eût été une illusion singulière de croire qu’il dût laisser fléchir la tradition des Hohenzollern, qu’il eût moins qu’un autre l’orgueil des conquêtes accomplies, il est permis de supposer qu’il aurait voulu mettre dans la politique qui a fait l’Allemagne des sentimens bienveillans d’équité et de modération. Ce n’était pas un prince vulgaire qui a pu dire : « Puisse-t-il m’être donné de conduire, dans un développement pacifique, l’Allemagne et la Prusse à de nouveaux honneurs ! Indifférent à l’éclat des grandes actions qui apportent la gloire, je serai satisfait si un jour on dit de mon règne qu’il a été bienfaisant pour mon peuple, utile à mon pays et une bénédiction pour l’empire… » Frédéric III, pour l’honneur de sa mémoire, a laissé de lui cette idée qu’il aurait été un prince pacifique dans ses relations avec l’Europe, qu’il aurait pu être assez libéral dans le gouvernement de son pays, — et qu’il aurait eu peut-être sa volonté, même auprès de M. de Bismarck. L’empereur Frédéric et le chancelier se seraient-ils longtemps entendus ? Une rupture était, dans tous les cas, peu vraisemblable ; elle aurait ouvert une crise trop grave pour que le souverain et son grand serviteur en vinssent à cette extrémité. Ils n’ont pourtant pas été toujours d’accord dans ces quelques mois ; ils ne l’ont