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récit de la révolte d’Absalom, en particulier, morceau si suivi, et qui peut être l’œuvre d’un mazkir, ne présente pas un seul acte superstitieux, une seule consultation de l’éphod. Tout s’y passe entre politiques, discutant en politiques, et militaires sensés ; le ton est celui d’une piété éclairée comme celle du Télémaque de Fénelon. Ce n’est plus la religion à recettes du temps des Juges, rappelant, par son grossier matérialisme, le paganisme italiote ou gaulois. Les folies du temps de Samuel et de Saül sont démodées. Les idées se clarifiaient ; l’ancien élohisme, oblitéré par les scories iahvéistes, reparaissait ; une école de sages déistes se formait, à Jérusalem, autour de la royauté.

La liturgie de ces temps reculés était très simple, et sans doute celle de Iahvé ne différait pas de celle qui se faisait en l’honneur de Baal ou de Milik. Les prières et les hymnes se composaient de ces formules déprécatives qui remplissent les Psaumes, criées à tue-tête, avec des danses et de grands éclats de voix. Il s’agissait de forcer l’attention du dieu, de se faire remarquer de lui à tout prix ; pour cela, on faisait le plus de bruit possible ; c’était ce qu’on appelait teroua. Un rudiment de musique sacrée existait peut-être déjà. Plus tard, on prêta à David un rôle de chorège et de législateur musical très exagéré.

David paraît, en effet, avoir aimé la musique, joué des instrumens et pratiqué l’orchestrique à la manière des anciens. Il fit des poésies. L’élégie sur la mort de Jonathan et celle sur la mort d’Abner sont très probablement de lui. Il n’est pas impossible que, dans le petit poème méconnaissable II Sam., XXIII, 1-7, il n’y ait aussi quelques bribes de poésies du vieux roi. David appartenait à l’ancienne école à laquelle se rapportent les cantiques du Iasar. Sa manière n’était pas la strophe banale et amplifiée, sans rien de circonstanciel, qui domine dans la plupart des psaumes. De bonne heure, cependant, on s’habitua à lui prêter des compositions de ce genre. Plus tard, à l’époque relativement moderne où l’on fit des collections de psaumes, son nom fut mis sans discernement en tête de pièces du genre sir ou mizmor, qui ont avec lui aussi peu de rapports que possible.

Porté au trône en partie par l’influence des prêtres de Nob et des prophètes de Rama, David aurait dû, d’après notre manière de raisonner, être fort livré aux influences que nous dirions cléricales. Il n’en fut rien. Comme Charlemagne, David fut le roi des prêtres, mais en même temps le maître des prêtres. Les tracasseries qui troublèrent la vie de ce pauvre Saül n’existèrent pas pour lui. Comme le roi de France, il tint en bride la théocratie, tout en partant d’un principe fortement théocratique.