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quatre-vingts ans, à l’heure qu’il est. Je ne discerne plus l’agréable du désagréable ; je ne sens plus ce que je mange ni ce que je bois ; je n’entendrais plus la voix des chanteurs et des chanteuses… Laisse-moi donc repartir, pour que je meure dans mon endroit, près du tombeau de mon père et de ma mère. Voici, par exemple, ton serviteur Kimeham[1] qui pourra passer le Jourdain avec le roi mon maître ; traite-le comme il te plaira. » Alors le roi dit : « Ce sera donc Kimeham qui viendra avec moi. » Toute la troupe passa ensuite le Jourdain. Quand le roi eût passé aussi, il embrassa Barzillaï et lui fit ses adieux. Puis le roi marcha vers Gilgal, et Kimeham l’accompagna.

Ephraïm et les tribus voisines n’avaient pas pris part, comme nous l’avons vu, à la révolte d’Absalom. Ces tribus restaient indifférentes à un conflit qui n’était, à leurs yeux, qu’une querelle domestique. Mais l’empressement des Judaïtes à rétablir le roi qu’eux-mêmes avaient déposé les blessa profondément. Ce fut comme si les Parisiens, après avoir chassé Charles X, en 1830, se fussent avisés de le rétablir sans consulter la province. On se plaignit vivement que Juda réglât tout par son caprice. « Nous avons dix parts du roi, disaient les mécontens ; David nous appartient plus qu’à vous. » La discussion fut très vive. Le feu allumé par Absalom était mal éteint.

On Benjaminite nommé Séba, fils de Bikri, sembla tout remettre en question. Il sonna de la trompette en criant :


Nous n’avons rien de commun avec David,
Rien à faire avec le fils d’Isaï.
Chacune à ses tentes, ô Israël !


C’était un appel à la dissolution du royaume fondé avec tant de peine. Les tribus se retirèrent en effet, et plusieurs suivirent Séba. Les Judaïtes seuls reconduisirent David à Jérusalem. Le harem, souillé par son fils, lui fit horreur. Il fit placer les dix concubines dans un lieu de détention, où on les nourrit jusqu’à la fin de leurs jours comme des veuves.

Il s’agissait de réduire Séba, fils de Bikri. Le principal embarras de David était de faire marcher d’accord ses fidèles et ceux des rebelles à qui il avait accordé l’aman. Joab et Amasa, surtout, étaient à l’état de rivalité ouverte. Le vieux roi ne savait que devenir. Il chargea Amasa de lever en trois jours les hommes de Juda. L’essai de mobilisation fut mal exécuté ; David alors donna l’ordre à Joab de sortir de Jérusalem avec les Kréti-Pléti et les

  1. C’était le fils de Barzillaï.