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et satisfaite, dans le congrès de Ryswick, portait enfin tous ses fruits. Ils étaient mûrs, tentans et savoureux, mais la main qui pouvait les prendre sans effort n’osa d’abord les cueillir. Après cinquante-sept ans d’un règne où tant de glorieux événemens s’étaient accomplis, où de si grandes épreuves avaient été surmontées, où tant de sang avait coulé, la volonté puissante que cette main servait avait beaucoup perdu de sa virilité et de son audace. La vieillesse, la fatigue, la réflexion, la rendaient prudente.

Le roi de France accepterait-il le testament ? maintiendrait-il, au contraire, le second traité de partage qu’il avait signé quelques mois auparavant[1], de concert avec les deux puissances maritimes, et qui attribuait, après la mort de Charles II, les Deux-Siciles, les ports de la Toscane, Final, le Guipuscoa et la Lorraine au dauphin de France ? Question redoutable que Louis examina, sous toutes ses formes, avec une anxiété visible, sur laquelle il consulta son entourage, ses ministres, son fils, les princes, les princesses elles-mêmes avec une condescendance qui leur était inconnue.

Ses conseillers ne peuvent se mettre d’accord. Torcy, ministre des affaires étrangères, soutient qu’il faut se hâter de recueillir un si magnifique héritage qui doublera la puissance nationale ; Beauvilliers déclare qu’il ne peut envisager sans terreur les périls auxquels il exposerait la monarchie, et il soutient, en conséquence, une opinion absolument contraire ; le dauphin plaide, non sans chaleur et sans éloquence, la cause de son fils ; le chancelier Pontchartrain résume les avis de ses collègues avec beaucoup de précision et de clarté, mais il évite de faire connaître le sien.

Certes, en une telle occurrence, l’indécision est bien permise. Quelle que soit la solution, il faudra, sans doute, en appeler aux armes pour l’imposer. Entre deux guerres fatales, entre deux guerres européennes, il s’agit de choisir celle qui sera la moins périlleuse pour la France.

A défaut de Philippe d’Anjou, petit-fils du roi de France, les dernières volontés du roi d’Espagne appellent à sa succession l’archiduc Charles, fils de l’empereur. Si Louis XIV rejette le testament, tous les vœux de Léopold sont satisfaits ; la maison de Hapsbourg recouvre sa prépondérance et son éclat ; le résultat des prodigieux efforts qui ont été faits, depuis quatre-vingts ans, pour réaliser les vues politiques d’Henri IV et de Richelieu, est

  1. Ce traité fut conclu à Londres et à La Haye, les 13 et 25 mars 1700, entre la France, l’Angleterre et la Hollande. Le premier traité de partage, qui fut signé à La Haye, en 1698, donnait au dauphin de France le royaume de Naples, les ports de Toscane, Final, le Guipuscoa, et, au prince électoral de Bavière, tout le reste de la monarchie espagnole.