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devant son image. Tel est le culte bouddhique dans toute sa simplicité. Il est vrai que, dans la suite des temps, ce culte a pris des développemens, un éclat, une solennité que nul autre ne dépasse ; mais il n’a pas perdu son caractère honorifique. Quant à la nature du principe absolu des choses, que les autres religions nomment Dieu, la métaphysique bouddhique le conçoit d’une toute autre manière et n’en fait pas un être séparé de l’univers.

Quand Çâkya conçut le plan d’une organisation religieuse, il trouvait des modèles autour de lui, au milieu de la société brahmanique. Dans la contrée savante et très civilisée où il vivait étaient en vigueur les divers systèmes de philosophie métaphysique et morale des temps antérieurs, ainsi que la pratique souvent outrée de l’ascétisme. Mais il apportait aussi des théories nouvelles et des principes moraux qui le mettaient en lutte avec les usages admis. C’est précisément ces nouveautés qui firent la force de son enseignement, en le plaçant lui-même fort au-dessus des plus grands saints du brahmanisme. Le corps des religieux bouddhistes fut dès l’abord et s’est maintenu aussi supérieur aux brahmanes que les prêtres de l’église chrétienne le furent aux prêtres païens. L’esprit de modération, de douceur, de simplicité et de convenance des bouddhistes contrasta avec l’orgueil, l’immodestie et l’exagération en toutes choses de la caste, et surtout de l’ascète brahmanique. Leurs vertus pratiques sont attestées avec une sincérité louable par le révérend Bigandet dans sa Life of Gaudama, et cela dans un pays encore bien barbare, la Birmanie.

En second lieu, le Bouddha ouvrit son église à tous les hommes, sans distinction d’origine, de caste, de patrie, de couleur, de sexe : « Ma loi, disait-il, est une loi de grâce pour tous. » C’était la première fois qu’apparaissait dans le monde une religion universelle. Jusque-là, chaque pays avait eu la sienne, d’où les étrangers étaient exclus. On peut soutenir que, dans les premières années de sa prédication, le, réformateur n’eut pas en vue la destruction des castes, puisqu’il admettait comme un droit légitime la puissance royale et ne luttait point contre elle. Mais l’égalité naturelle des hommes fut une des bases de sa doctrine ; les livres bouddhiques sont pleins de dissertations, de récits et de paraboles dont le but est de la démontrer. Je n’en citerai qu’une seule, en abrégé et de mémoire.

Un jour, un grand roi, dont il sera parlé tout à l’heure, rencontra dans la rue un mendiant bouddhiste, s’arrêta et le salua humblement. Son ministre lui fit observer qu’il abaissait la majesté royale. Le roi ne répondit pas. Mais, rentré au palais, il appelle son ministre et lui ordonne de vendre au marché public une tête de mouton ; le ministre obéit et rapporte le prix de cet objet. Le roi