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Dès lors, ses chefs ne furent plus de simples religieux, cultivant la science et pratiquant la charité. Ce furent des prêtres dans l’ancienne acception de ce mot, des lévites, des intermédiaires entre Dieu et les hommes, entre le Roi suprême et ses sujets. L’assemblée des fidèles eut en dehors d’elle-même un clergé qui devint à lui seul l’église, l’organe complexe sans lequel les fidèles ne peuvent communiquer avec leur créateur. Cette église hiérarchisée eut des chefs échelonnés les uns au-dessus des autres, comme ceux d’une armée, avec un chef suprême qui donne la formule de la vérité, de la vertu, et du combat. Dès lors aussi, la charité bouddhique était remplacée par l’obéissance à l’église. L’église, organisée en vue de la lutte pour l’existence, se trouvait en état de guerre avec toutes les religions, les communautés dissidentes et les opinions privées. Voilà pourquoi, en vertu d’une doctrine de théologie transcendante, le christianisme latin et grec traita si durement les hérétiques. Ses coups frappèrent sur les manichéens plus que sur tous les autres, parce que ces religieux n’étaient pas, comme les hérétiques ordinaires, des membres ayant appartenu ou même appartenant au corps de la chrétienté. Ils procédaient plus exclusivement du bouddhisme, rejetaient la création et ne reconnaissaient pas les prophètes hébreux. Il y eut donc entre eux et les chrétiens une lutte de principes, et c’est l’idée israélite qui arma contre eux le bras séculier des chrétiens.


IV

Quand on jette un coup d’œil en arrière, on voit que l’idée bouddhique, pure à son origine, a subi des mélanges et des altérations de plus en plus profondes à mesure qu’elle s’en est géographiquement éloignée. Elle a dû ces additions à sa tolérance ; les bouddhistes croyaient échapper à la lutte, s’ils refusaient d’y prendre part. Cet état de paix a pu durer quelques siècles dans l’Inde, et pourtant à la longue le vieux polythéisme brahmanique est devenu persécuteur et a repris le dessus ; au v8 siècle de notre ère, il n’y avait plus un bouddhiste dans l’Inde.

Les missions occidentales avaient eu un autre destin. Elles arrivaient dans ce royaume des Arsacides fraîchement imbu des idées humanitaires d’Alexandre et de ses successeurs ; elles y trouvaient une religion fondée comme la leur sur la théorie des deux principes et pouvaient s’entendre avec ses représentans. Mais les anciennes traditions sémitiques de l’Assyrie, de Babylone, de la Phénicie, de la Judée, n’étaient point effacées. Le bouddhisme dut, pour ainsi dire, capituler et ne pas repousser nettement l’idée