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le roi, plein de respect et d’admiration, passait ses journées auprès du peintre, prenant plaisir à la grâce hardie de son langage florentin, souffrant de lui les saillies les plus mordantes, le comblant d’honneurs, voulant le retenir à Naples et en faire « le premier homme de son royaume. »

Il y a quelque trace de toutes ces influences dans les premières œuvres de Boccace. Il dut lire avec passion tous les romans et fabliaux français qui lui tombèrent entre les mains. Il fit des efforts pour s’approprier la langue latine, comme en témoignent des vers latins assez faibles, qui remontent sans doute à cette époque. Il n’apprit point le grec, ou du moins n’en posséda que quelques mots, qu’on lui voit souvent employer à contre-sens et hors de tout propos. Mais il commença son éducation antique et fit preuve, dès ses premières œuvres, d’une connaissance déjà grande des auteurs et de la mythologie. Il cherchait à s’instruire de toutes les façons, entrait en relations avec des géomètres et des astronomes, comme Paolo Geometra et ce fameux Génois Andalone di Negro, dont les idées nouvelles sur la cosmographie préparaient les prochains progrès de la navigation. Il ne méprisa aucune des connaissances spéciales qu’il pouvait acquérir avec de pareils hommes. Il apprit même un peu de médecine. D’après le type que s’étaient formé les grands esprits de ce temps, le poète devait être un homme universel, et aucune connaissance humaine ne devait lui rester étrangère.

L’oubli paternel le rendant presque absolument libre, Boccace se livra à la vocation de son enfance, la poésie. Tout devait l’y porter. Le sort des poètes n’avait jamais été plus doux, ni les honneurs qu’ils recevaient plus grands qu’à Naples en ce moment. La jeune gloire de Pétrarque commençait à traverser le monde, et le roi Robert, avant de l’attirer près de lui, échangeait avec l’illustre amoureux des vers et des complimens. Boccace avait déjà fait des sonnets et des chansons, dans la manière des Siciliens et des Provençaux, quand il acquit la qualité qui lui manquait pour être vraiment poète, un amour officiel et noble. Son amour pour Maria d’Aquino, fille naturelle de Robert, nous est affirmé par les historiens, la tradition et de nombreux passages des œuvres de Boccace. Il l’a à peine caché sous des allusions très transparentes, désignant même les dates et les jours, dans un amphigouri astronomique et mythologique où il n’est pas trop malaisé de se débrouiller. Il a enveloppé son nom et celui de sa maîtresse dans un poème, par un de ces artifices d’acrostiche où se sont complu les poètes de l’époque : et qu’un public prévenu devait pénétrer sans peine.

Comme ce puéril arrangement de lettres était de mode