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doge. Enfin, lorsque en 1368, le pieux Urbain V, cédant aux désirs de l’Italie, résolut de mettre fin au veuvage de l’église romaine et ramena le saint-siège de la « captivité de Babylone, » Boccace porta à Rome les complimens de la république pour un retour que l’on espérait définitif. Il devait réclamer aussi la réforme ecclésiastique, que la longue absence du pape avait rendue nécessaire.

Dans les lettres de créance qu’il a reçues pour ces diverses ambassades, Boccace se voit orné des titres les plus distingués : il est « maître, seigneur, notre très honoré concitoyen, homme très circonspect. » Il retrouve, pour paraître heureusement dans les cours, les façons de sa jeunesse et le bon air de la cour napolitaine. Il reçoit d’ailleurs à la cour des papes le meilleur accueil, sans que personne ait l’air d’avoir rien à lui reprocher. Il s’y présente, il est vrai, comme l’ami de Pétrarque. En 1365, à Avignon, le cardinal Philippe de Cabassole, patriarche de Jérusalem, un des plus saints, un des plus sages du sacré-collège, prend Boccace dans ses bras, en présence même du pape, et l’embrasse tendrement ; il l’accable de paroles affectueuses et de questions sur la santé de Pétrarque. Trois ans plus tard, Urbain V, pape réformateur, à la renommée absolument pure, le recevait avec honneur, comme il écrivait lui-même, « par considération pour ses vertus : » S’agit-il vraiment encore du « très immonde Dionée ? »

Pour servir une diplomatie aussi subtile et changeante que celle de Florence, pour rester lié d’autre part à la maison royale de Naples, dont l’histoire est pleine de terribles mystères, Boccace dut parfois cacher sa véritable pensée sous le voile de l’allégorie. A l’imitation de Pétrarque, il écrivit des églogues politiques que les contemporains eux-mêmes avaient peine à comprendre. Le bonheur a voulu qu’un d’entre eux, le moine Martino da Signa, demandât à Boccace des explications sur ces petits poèmes si obscurs et si curieux. Boccace a livré sa clé dans une lettre assez explicite ; mais cette clé n’ouvre pas tout. Il ne nous révèle que ce qu’il veut bien et nous laisse ignorer bien des choses. C’est là pourtant que nous devons chercher sur ses sentimens intimes des renseignemens précis. Après l’interprétation si sagace de M. Hortis, le voile semble à peu près levé. Un trésor de faits nouveaux est ouvert pour l’histoire, la politique, la vie et l’esprit de Boccace. Les sentimens de Boccace, tels que nous les découvrons dans les églogues, sont souvent bien différens de ceux qu’il professa publiquement. On le trouve dur pour Jeanne de Naples, disposé à la croire coupable du meurtre de son mari André, sévère pour Louis de Tarente, impitoyable pour Acciaiuoli. Je ne vois pas que Boccace ait jamais tiré grand profit de cette dissimulation. Il faut se rappeler