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secrétaire apostolique, que Pétrarque lui avait fait proposer par le pape. Pétrarque lui-même ne se lassait pas de lui offrir, avec sa parfaite bonne grâce, une hospitalité complète, et désirait ardemment s’unir à lui pour finir ensemble leurs jours. Boccace ne se lassait pas de refuser, et il semble que sa hautaine indépendance ait jeté quelque ombre sur leur amitié.

Cependant, par besoin de mouvement et désir de renouveler les souvenirs de sa jeunesse, Boccace se laissa deux fois attirer à Naples. En 1362, il se rendit à l’invitation tant de fois refusée du grand sénéchal. Il dut y être décidé par l’intervention de Francesco Nelli, homme lettré et charmant, ami de Pétrarque, qui occupait alors une fonction à Naples. On a élevé des doutes sur l’authenticité d’une lettre que Boccace écrivit à Nelli après ce désastreux voyage. Le ton appartient si bien à Boccace qu’on ne saurait la rejeter tout à fait, en admettant pourtant quelques interpolations. Elle nous montre bien le caractère de parvenu, qui était celui d’Acciaiuoli, et son orgueil démesuré. Tenant cette fois Boccace, se croyant sûr de le garder et de le faire travailler pour sa gloire, il le traite en domestique. Il le loge, non dans son palais, comme un prince des lettres, mais dans un mauvais corps de logis, près des cuisines, parmi ses gens, tourbe infecte de Grecs dégoûtans. La susceptibilité de Boccace était légitimement éveillée : vieux, obèse, malade déjà, illustre en tous lieux, il avait quitté tout, et jusqu’à son précieux Léonce Pilate. Il est curieux de voir pourtant avec quelle violence outrée il exhale son courroux. Pour se remettre, il s’en alla à Venise, chez son grand ami, dans cette belle maison au bord du grand canal, des fenêtres de laquelle on voyait entrer et sortir les galères superbes, chargées de marchandises et venues du bout du monde.

En 1370, il se laissera de nouveau entraîner à Naples par une invitation acceptée bien à la légère et s’en trouvera plus mal encore.

Nous le suivons à Milan en 1359, à Naples en 1362, à Venise en 1363, à Avignon en 1365, à Rome en 1368, à Naples de nouveau en 1370. Est-ce là le résumé de cette vie agitée ? Non pas. Il nous faut encore placer deux voyages à Venise. Je crois pouvoir fixer la date du premier à 1367. Boccace avait quitté Certaldo le 23 mars, pour aller visiter Pétrarque. Il avait été retenu quelque temps à Florence, et, lorsque, poursuivant son chemin, il fut parvenu à Bologne, il apprit que son ami avait déjà quitté Venise, pour rendre, à Pavie, cette visite annuelle aux Visconti, que Boccace blâma toujours. Malgré le grand dépit que lui causa cette nouvelle, il poursuivit sa route, ayant affaire à Venise. Un peu plus loin, il rencontra le gendre de Pétrarque, Francesco di Brossano : « J’ai admiré, dit-il, sa taille très haute, son visage placide, sa parole grave, ses façons douces. »