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cher à cette province était le droit de s’assembler en corps des trois ordres pour traiter des affaires publiques qui intéressent le souverain et le pays.

Ainsi, tout ce qui pensait, tout ce qui tenait une plume, tous ceux qui avaient une part d’influence apportaient leurs suffrages et leurs vœux aux préparatifs de l’assemblée. Le torrent était impétueux. Pour l’arrêter, le ministère voulut joindre aux déclarations des actes ; il ne se contenta pas de faire casser les délibérations de l’hôtel de ville, de les proclamer nulles, et d’interdire aux villes, bourgs et villages d’envoyer aucun député à Grenoble. Appuyant ces mesures de l’envoi de régimens, il mit à la tête de la province le maréchal de vaux, vieux soldat, couvert de blessures, connu pour son courage, et qui obtiendrait des troupes tout ce que lui inspirerait son énergie. A peine arrivé, sa surprise fut extrême. Au lieu de factieux qu’il s’apprêtait à châtier, il trouvait autour de lui des gentilshommes pleins de respect pour le roi ; il questionna l’intendant, interrogea les officiers, tous ceux qui connaissaient la province. En deux jours, son opinion fat faite. Elle est d’un grand poids et doit être retenue par l’histoire. Il se hâta d’écrire à Versailles la vérité. Il lui était impossible d’empêcher la réunion d’une assemblée que tout le monde était d’accord pour vouloir avec passion. Son prédécesseur avait tenu une conduite sage ; en évitant les chocs, il avait épargné de grands malheurs. Le maréchal avait été envoyé en Dauphiné pour faire triompher la force. Deux jours après son arrivée, il ouvrait les négociations. Pour les appuyer, il resserrait les cantonnemens du corps d’armée qu’il commandait. En même temps, il faisait savoir que si l’assemblée se tenait à Grenoble ou dans le rayon de son quartier-général, il l’empêcherait par la force ; qu’il n’y mettrait point obstacle, si les députés se réunissaient à quelque distance, hors de la portée d’un coup de main populaire. Cette transaction fut acceptée, et M. Claude Perier, l’un des plus riches industriels de la province, mit à la disposition de ses compatriotes le manoir du connétable de Lesdiguières, situé à quatre lieues de Grenoble.

Cette vaste et noble résidence avait été créée par un des plus vaillans serviteurs d’Henri IV. Conservée dans sa descendance, elle avait été vendue depuis peu ; elle semblait à jamais vouée aux souvenirs du connétable. C’est pourtant le 21 juillet 1788 que le nom en devait entrer dans l’histoire pour y demeurer attaché à la manifestation la plus pure qu’ait éclairée l’aurore de la révolution.

Le 21 juillet, à huit heures du matin, 540 membres prenaient place dans la salle du Jeu-de-Paume, qui occupait une aile du château : on comptait 50 ecclésiastiques, 165 gentilshommes, 325 députés des villes et communautés. Le comte de Morges fut élu